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Anthropocène : Soulever des montagnes

Montagnes

Quelque chose de vertigineux. Voilà à quoi j’ai toujours associé la géologie. Quand on pense à ces millénaires d’âge de glace et de feu, à la sortie de l’eau des végétaux, à la dérive des continents, on se sent comme au bord d’une falaise : pris par l’envie irrésistible de regarder en bas, malgré le malaise qui nous étreint.

Mais un débat encore plus vertigineux agite la communauté scientifique qui s’intéresse à l’évolution de notre planète. Plusieurs de ces spécialistes affirment que nous sommes entrés dans une ère nouvelle : adieu l’Holocène, qui a débuté il y a 11 500 ans, bienvenue dans l’Anthropocène! Selon les promoteurs de cette thèse, l’évolution terrestre aurait franchi une nouvelle étape : désormais, l’homme (anthropos) serait la principale force géologique à l’œuvre.

Vertige de la trajectoire de l’évolution. Car ceux qui affirment que nous avons pris ce tournant font le constat d’une terre définitivement abîmée, altérée par nos activités : émission de gaz à effet de serre, ozone stratosphérique, acidification des océans, perte de la forêt tropicale, érosion de la biodiversité, artificialisation des sols... La courbe monte en flèche depuis 1950, avec des conséquences graves pour la...

santé de notre planète. L’ère de l’Anthropocène ne s’annonce guère réjouissante !

Mais, au fait, pourquoi vouloir caractériser et entériner – pour cela, on attendra toutefois les conclusions d’un rapport prévu pour 2016 – une idée aussi pessimiste que celle confirmant la destruction en cours de notre planète ? En quoi cela va-t-il nous aider, nous être utile ? Nos éminents géologues ont-ils vraiment considéré tous les aspects des changements en cours ? Certes, il y a toutes ces opérations destructrices ou folles – avez-vous entendu parler de ce pipeline censé renflouer la mer Morte avec l’eau de la mer Rouge ? –, mais bon nombre d’initiatives, me semble-t-il, font la démonstration de notre capacité à nous mobiliser pour la terre, à montrer l’attachement que nous lui portons.

Regardons donc de ce côté, là où l’on privilégie la protection de la planète. Il en existe maints exemples de par le monde. Chez nous, en Ardèche, la population locale a stoppé le projet d’exploitation de gaz de schiste... Dans les Alpes, depuis deux décennies, les habitants du val de Suse défendent leur montagne. Ils refusent qu’on y perce un tunnel de 57 km, d’autant plus dangereux que la roche est à cet endroit pleine d’amiante. Le grand écrivain Erri de Luca est prêt à faire de la prison* pour cette cause...

Et si c’était plutôt cela, la nouvelle ère de notre évolution? Non pas une révolution géologique d’origine humaine, mais la révolution d’un nouvel enracinement de l’Homme. Et si cela consistait plutôt à vivre en bonne intelligence avec notre planète, à renouer et développer notre lien à un morceau de terre, quel qu’il soit ? Celui qui nous a vus grandir, celui qui est devant chez nous, celui où nous avons été heureux... Ce lien presque viscéral qui nous donne plus de clairvoyance sur les conséquences de nos actes.
Non, décidément, je ne pense pas que l’heure d’entrer dans l’Anthropocène soit venue ; c’est autre chose qui a commencé... Gardons notre enthousiasme : ne dit-on qu’il peut soulever des montagnes ?

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