Nouvelles règles dans la jungle des compléments alimentaires
Un nouveau texte réglementaire vient d’entrer en vigueur précisant certaines règles quant à la fabrication des compléments alimentaires à base de plantes. Une liste de 541 espèces autorisées est désormais clairement établie. Que pouvons-nous en attendre ?
Aujourd’hui, se soigner avec les plantes peut se résumer à la prise d’un ou plusieurs compléments alimentaires. Plus faciles d’utilisation que les tisanes et autres préparations, ils ont aussi l’avantage de procurer un très large choix : on compte en effet par dizaines de milliers les références proposées sur le marché, une offre écrasante face aux quelques dizaines de phytomédicaments disponibles en pharmacies. Cet hiver, les compléments alimentaires à base d’échinacée, de pépin de pamplemousse, de sureau ou d’eucalyptus sont légion, à tel point qu’il peut être difficile de choisir le meilleur remède contre les refroidissements. Vaut- il mieux privilégier une marque très connue ou au contraire un petit fabricant ? Les plantes indiquées sur l’emballage sont-elles vraiment autorisées ? Quels sont les risques potentiels encourus ?
Les questions que l’on se pose quand il s’agit d’acheter un complément alimentaire sont tout à fait légitimes. Or, depuis le 1er janvier, un texte réglementaire est entré en vigueur avec pour objectif de clarifier leur statut et par conséquent d’apporter plus de garanties aux consommateurs. Cet arrêté publié le 24 juin 2014 établit « la liste des plantes, autres que les champignons, autorisées dans les compléments alimentaires et les conditions de leur emploi». Désormais, 541 espèces végétales très exactement sont autorisées. Dans le document, un grand tableau précise pour chaque plante les parties que les fabricants ont le droit d’utiliser, les substances à surveiller et les restrictions. Par exemple, pour l’hysope, il est indiqué que seuls les parties aériennes peuvent être employées. Cinq molécules sont à surveiller, notamment l’eucalyptol et le carvacrol, et l’arrêté précise que son huile essentielle est interdite. Pour ce qui est du lin, il est indiqué dans la partie «restrictions» que «l’étiquetage doit comporter un avertissement déconseillant l’usage chez les femmes ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein ».
Des niveaux d’exigence élevés
D’autre part, l’arrêté impose aux fabricants de constituer un dossier technico-scientifique plus complet. « Le contenu et la nature des dossiers s’apparentent aux dossiers allégés d’Autorisation de mise sur le marché (AMM) pour les médicaments à base de plantes », écrit Loïc Bureau, professeur en nutraceutique, dans le journal Phytothérapie d’octobre 2014. « Les niveaux de précision ou d’exigence sont de bonne facture: variété, chémotype, origine géographique, conditions de culture [...] procédés de fabrication [...] », poursuit-il. Pour les fabricants,ces niveaux d’exigence vont engendrer un surcroît de travail: «Nous allons peut-être devoir revoir les dossiers de nos produits les plus anciens», confie Michel de Sarrieu, directeur scientifique chez Fleurance nature qui commercialise une centaine de compléments alimentaires à base de plantes. Ce spécialiste imagine déjà que certains produits seront arrêtés si les fabricants n’arrivent pas à obtenir les informations demandées auprès de leurs fournisseurs. «Notre secteur avait besoin de règles du jeu plus claires », plaide Aban Maggiar, président du Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet) et directeur général du Laboratoire Carrare. Il trouve toutefois que cette liste est un résultat «plutôt satisfaisant».
Questions et contradictions
Bien que visant à donner un cadre plus sûr aux compléments alimentaires, le texte ne dissipe pas toutes les questions, voire certaines contradictions. Ainsi, comme leur nom l’indique, les compléments alimentaires sont des denrées dont le but est de compléter un régime normal. Ils ne sont pas censés exercer d’activité pharmacologique comme les médicaments et doivent seulement avoir des effets de maintien, de soutien ou d’optimisation des fonctions physiologiques. Alors, comment expliquer qu’ils soient autorisés à contenir des plantes strictement médicinales telles que la prêle, l’harpagophytum, la valériane ou encore le ginkgo?
Mais au fait, comment ces 541 plantes ont-elles été choisies? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de se replonger dans l’histoire – très récente – des compléments alimentaires... En effet, ce n’est qu’en 2002 que l’Europe a réglementé ce secteur avec la directive 2002/46/ CE! Avant cette date, la situation était chaotique pour le consommateur qui n’avait pas de garanties sur les produits et pour les fabricants qui avaient bien du mal à avoir un peu de visibilité sur un marché aux contours mal définis. En France, il a ensuite fallu attendre quatre ans pour que cette directive soit transcrite en droit français (décret du 20 mars 2006) : or ce texte n’autorisait que 34 plantes, la pomme (!) en faisant partie.
Toutefois, dans ce même décret, l’article 16 donne la possibilité d’utiliser des plantes non autorisées en France, dès lors qu’elles le sont dans un autre état membre. Conséquence : depuis 2006, des milliers de produits à base de plantes plus ou moins exotiques apparaissent sur le marché, et ce sont ces dossiers déjà soumis à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) qui ont permis d’établir la liste des 541 plantes.
Forts de ces nouvelles règles, jusqu’où iront les compléments alimentaires ? Car à leur nombre, il faut ajouter le fait que les galéniques peuvent prendre des formes très différentes les unes des autres. À côté des gélules contenant des poudres, sont aussi proposés des comprimés, des plantes extraites selon différentes méthodes, des sirops, des macérats... Ce qui, au-delà du cahier des charges encadrant la fabrication, pose le problème du choix du produit en fonction de telle ou telle problématique santé. «Un nouveau métier reste à définir pour conseiller les produits à base de plantes, ces compléments alimentaires et/ou ces aliments santé, qu’on les appelle alicaments, aliments fonctionnelsou neutraceutiques», écrit Loïc Bureau. Est-ce que ce sera via le métier d’herboriste? Qui sait... Les naturopathes ont aussi de plus en plus leur mot à dire. Il apparaît en tout cas très clairement que les compléments alimentaires vont bien au-delà de la sphère nutritionnelle et viennent combler les manques de l’offre en phytomédicaments ou remèdes traditionnels, dont le nombre se réduit comme peau de chagrin. Certains spécialistes de la santé soulignent aussi qu’avec ces produits, à la frontière entre nutrition et thérapeutique, on dégage le terrain à l’automédication. Ce qui n’est pas sans danger.
Des plantes inconnues des spécialistes
Un médecin phytothérapeute, le Dr Jean-Michel Morel, avoue se perdre dans cette nouvelle liste de plantes autorisées : « Plusieurs plantes me sont totalement inconnues comme Houttuynia cordata, une plante alimentaire vietnamienne. Je trouve cela inquiétant». Et de rappeler que cette ouverture peut poser d’autant plus de problèmes que certaines plantes contiennent des principes actifs sensibles : « L’actée à grappes qui est désormais inscrite sur la liste française a une activité œstrogénique, ce qui est à prendre en compte pour les terrains prédisposés à un cancer du sein. De plus un mauvais usage de certaines plantes peut jeter le discrédit sur la phytothérapie en général», craint le médecin. D’autant que, pour le moment, aucune allégation n’a été finalisée par l’autorité européenne pour les produits à base de plantes.
Cependant, l’Agence nationale de sécurité alimentaire (Anses) surveille de près les signalements d’effets indésirables liés à la consommation de compléments alimentaires. Récemment, elle a préconisé un suivi médical pour les personnes qui prennent de la levure de riz rouge. Excessif ? Le directeur scientifique de Fleurance nature s’interroge : « Pour les médicaments, on admet un certain risque en contrepartie des bénéfices, alors que pour les compléments alimentaires, le postulat est de dire que le risque doit être zéro ». À ce jour, les cas de nutrivigilance ne sont en tout cas pas très nombreux comparées aux médicaments. Bon nombre d’études font même état de leur effet positif : les consommateurs de compléments alimentaires sont en meilleure santé. Sans parler de l’impact de cette démarche santé sur les comptes de l’état. Aucun de ces produits n’étant remboursé par la Sécurité sociale...
Un médicament ou un complément alimentaire ?
Depuis l’entrée en vigueur de la réglementation concernant les produits homéopathiques, il est de plus en plus difficile, à l’exception de quelques classiques, de se procurer des teintures mères en pharmacie (encore remboursable à 35 %). Pour autant, un autre type de préparation classé parmi les compléments alimentaires peut les remplacer. Il s’agit des préparations hydro-alcooliques, une galénique légèrement différente mais aussi efficace du point de vue thérapeutique, que l’on peut trouver soit en pharmacie soit auprès de fabricants. Le changement n’est pas anodin en termes de prix : ils ont été multipliés par deux ou trois.
10 conseils pour acheter des compléments alimentaires
- Préférez un produit dont la marque, le fabricant et le distributeur sont bien identifiés.
- Vérifiez que l’étiquetage comporte bien la mention « complément alimentaire », l’adresse du fabricant et les conseils d’utilisation. Dans la liste des ingrédients, évitez les produits contenant du dioxyde de titane (attention, certains n’indiquent que les plantes utilisées et écrivent en tout petit les additifs).
- Tous les produits vendus en France doivent obligatoirement être étiquetés en français.
- Sur internet, assurez-vous que les sites web n’autorisent que des paiements sécurisés et que leur adresse (qui doit être nécessairement indiquée) est en France ; choisissez des sociétés dont tous les renseignements sont donnés (email, téléphone...) et qui répondent au courrier ou au téléphone.
- Consultez un professionnel de santé pour avoir des conseils sur la prise de produits et éviter les surconsommations ou les interactions.
- Un prix trop alléchant doit vous inciter à vous interroger sur la qualité de la plante ou de la filière.
- Préférez les formes les plus simples possibles (principe d’extraction simple avec un solvant naturel, plantes locales...).
- Recherchez les circuits courts et les produits estampillés AB
Ces conseils proviennent du site du Synadiet et d’entretiens réalisés avec les spécialistes Jean-Philippe Zahalka, pharmacien et auteur du « Dictionnaire complet d’aromathérapie », Aline Mercan, médecin généraliste phytothérapeute, et Ghislaine Gerber, des laboratoires Holistica.
Et ensuite ?
La liste de plantes autorisées dans les compléments alimentaires est destinée à s’allonger d’années en années, pour se rapprocher à terme de la liste BelFrIt qui comprend plus de mille espèces commercialisées en Belgique, en France et en Italie (d’où son nom). Déjà adoptée dans sa totalité en Italie, cette liste va, en attendant, continuer à servir de référentiel aux fabricants français qui ne trouveraient pas dans les 541 plantes celles qu’ils veulent employer. En effet, il est toujours possible de déposer un dossier auprès de la DGCCRF afin d’utiliser une plante non encore autorisée. La question des huiles essentielles n’est toujours pas réglée et elles feront prochainement l’objet d’un texte donnant les lignes directrices de leur usage dans les compléments alimentaires. En attente aussi, les allégations : à ce jour, les autorités européennes ne se sont toujours pas prononcées sur celles portant sur des substances botaniques, soit plus d’un millier d’indications au total.