Des substances nocives dans la camomille de Kusmi Tea
Une association de consommateurs a révélé que les infusions à la camomille Kusmi Tea contenaient des substances cancérogènes et toxiques pour le foie. La marque a aussitôt retiré le produit. Les agents toxiques mis en cause, peu connus, sont des composés naturels dont la camomille est en principe dépourvue. Questions : comment se sont-ils retrouvés là ? Quel danger exact présentent-ils ? Voici nos réponses.
C’est en procédant à des tests comparatifs sur des tisanes que l’association de consommateurs allemande Stiftung Warentest a mis en évidence la présence de substances nocives dans les infusions à la camomille de Kusmi Tea. Pour une fois, il ne s’agit pas de pesticides ou de fongicides, mais de composés naturels : les alcaloïdes pyrrolizidiniques (AP). Les résultats sont sans appel : pas moins de 73,2 mg d’alcaloïdes par kilo (soit environ 161 µg par sachet d’infusion) ont été détectés. Selon l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques, ces alcaloïdes ne sont pas nocifs en dessous d’un seuil de consommation de 0,42 µg par jour pour un adulte de 60 kg. Ce qui signifie que l’infusion à la camomille Kusmi Tea dépassait de plus de 380 fois le seuil d’exposition toxique. En effet, les AP sont considérés comme toxiques pour le foie et cancérogènes.
Dans ce contexte, Kusmi Tea a décidé d’en référer à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et de retirer de la vente l’infusion à la camomille. La marque a précisé qu’elle appliquait le principe de précaution, expliquant que, pour le moment, « il n’y a pas de consensus scientifique sur le taux exact de nocivité de ces composés ». Que savons-nous vraiment ?
Des alcaloïdes présents chez 6000 espèces
En effet, alors que la marque prône des produits de qualité et sans danger, il est légitime de se demander comment ces alcaloïdes se sont retrouvés dans l’infusion. En effet, la camomille n’en contient pas naturellement. L’hypothèse la plus vraisemblable est que des plantes sauvages qui en contiennent ont été ramassées avec la camomille. C’est d’ailleurs l’explication avancée par Kusmi Tea.
Il est vrai que les AP sont présents chez environ 6 000 espèces de plantes à l’échelle mondiale ; on les retrouve principalement chez les astéracées, les boraginacées et les fabacées. De nombreux facteurs influent sur la teneur de ces composants : l’espèce, l’organe de la plante utilisé, mais aussi les procédés de récolte, d’extraction et de conservation des plantes.
En 2011, l’EFSA avait publié un premier avis concernant l’impact des AP sur la santé. Les experts du groupe scientifique de l’EFSA avaient alors qualifié ces alcaloïdes de « contaminants potentiels pour l’alimentation humaine et animale » et avaient « conclu à un risque possible pour la santé de certains grands consommateurs de miel », ce dernier faisant l’objet des analyses. Le groupe d’experts avaient alors rapporté qu’une certaine classe d’alcaloïdes, les AP 1,2-insaturés, pouvaient être des cancérigènes génotoxiques chez l’homme. Toutefois, du fait de cette potentielle toxicité, aucune dose journalière tolérable n’avait pu être définie.
Un composé connu par la phyto
En phytothérapie traditionnelle, on connait bien ces alcaloïdes, car ils sont à l’origine des restrictions d’usage de la grande consoude (Symphytum officinale) dans certains pays. Par exemple, la voie interne est interdite en Allemagne et en France ; en Angleterre, la Medicine and Healthcare Products Regulatory Agency a inscrit la consoude sur la liste des plantes nécessitant la prescription d’un médecin.
Dans le monde végétal, il existe en effet plus de 200 alcaloïdes différents comme la lycopsamine dans la bourrache, Borago officinalis, la symphytine dans la consoude, la sénécionine dans le séneçon, Senecio vulgaris et le tussilage, Tussilago farfara. Tous n’ont pas encore été bien étudiés, mais ils sont considérés comme toxiques pour la grande majorité d’entre eux.
Plus précisément, ils sont reconnus comme pouvant provoquer une hépatite cytolytique, c’est-à-dire une destruction des tissus hépatiques. Le mécanisme en cause est une maladie veino-occlusive : il s’agit d’une atteinte des capillaires sinusoïdes hépatiques, à l’origine d’une obstruction des petites veines hépatiques et donc d’une destruction du foie. Cette pathologie est d’origine toxique, les cas classiques faisant suite à l’absorption d’infusion de plantes contenant des alcaloïdes ou se déclarant après une chimiothérapie. Une exposition prolongée peut aussi être à l’origine d’une cirrhose non spécifique. Toutefois, il semble que cette toxicité dépende de la quantité consommée, de la durée d’exposition et de l’état de santé sous-jacent.
Des cas d’intoxication en Afrique
Si l’on se plonge dans la littérature scientifique, on s’aperçoit que de nombreux cas d’intoxication liés à ces alcaloïdes ont été rapportés dans des pays en développement (Afrique, Inde) : les personnes atteintes avaient consommé des céréales ou des farines contaminées au séneçon ou à l’héliotrope, deux plantes connues pour leur forte teneur en AP. Plusieurs décès ont été rapportés dans les années 1980. La consoude en a souvent été tenue pour responsable. Par exemple, en Afrique du Sud, sur un groupe de 20 enfants ayant présenté une maladie veino-occlusive du foie suite à une intoxication à la consoude, 9 sont décédés, et pour les 11 autres le mal s’est transformé en cirrhose.
En Allemagne, en 2003, un nouveau-né prématuré est décédé suite à une atteinte hépatique liée à l’utilisation régulière d’un mélange d’herbes pour la cuisine au domicile familial. Outre cette toxicité hépatique, les AP sont reconnus comme étant potentiellement carcinogène, mutagène et tératogène après des études positives chez l’animal.
La qualité des produits mise en cause
En ce qui concerne la camomille de Kusmi Tea le risque est à relativiser. Comme l’a précisé Stiftung Warentest, l’intoxication est peu probable. Mais pour l’association, une consommation régulière de cette infusion augmente le risque de développer des cirrhoses et des cancers. Cet événement souligne donc l’importance d’un suivi de qualité dans les méthodes de culture, de ramassage et de production de ce type de produits. On peut légitimement se demander si boire quotidiennement un bol de tisane de camomille chargé de polluants pendant vingt ou trente ans n’aura aucun impact sur la santé…
Ne tombons toutefois pas dans la psychose en ce qui concerne la camomille ! Il serait dommage d’oublier ses incroyables vertus. Ses propriétés sédatives et calmantes sont en effet efficaces pour passer une nuit douce et tranquille. Mais saviez-vous que la camomille est aussi gage de longue vie ? Une étude publiée en 2015 dans la revue scientifique The Gerontologist portant sur plus de 1 600 hommes et femmes âgés de plus de 65 ans a montré que la consommation de camomille diminue le risque de décès de 29 % toutes causes confondues chez les femmes. Il est intéressant de noter que cet effet positif reste significatif même après que les chercheurs ont pris en compte les facteurs tels que l’état de santé sous-jacent et le statut socio-démographique.
Aussi, il serait dommage que nous nous privions d’une plante aussi bénéfique. Aux fabricants de nous tranquilliser sur leurs contrôles qualité…