Les teintures végétales reprennent des couleurs
Amour des belles choses, certes. Mais le retour des couleurs naturelles signe aussi la prise en compte de l’environnement et d’un potentiel santé non négligeable.
Ça ne se voit pas sur les photos, mais les professionnels de la mode le savent bien : les couleurs naturelles ont un éclat plus chaud, plus subtil et plus lumineux que celles provenant de formules chimiques. Ainsi, des couleurs oubliées reviennent dans le paysage. En Italie, un fabricant vend une machine à teindre les pulls avec des végétaux, tandis qu’à Rochefort (Charente-Maritime), l’entreprise Couleurs de Plantes cultive des plantes tinctoriales et les récolte en plein champs pour produire des extraits faciles d’emploi. Preuve que les temps changent, des formations s’ouvrent, et même les musées commencent à mettre en vedette les couleurs naturelles dans leurs expositions.
Des substances « archi cancérigènes »
Certes, les colorants artificiels sont plus stables, normalisés et bon marché... Mais depuis 2003, on sait aussi que certains sont dangereux. Cette année-là, l’Union européenne avait banni plusieurs d’entre eux destinés aux textiles et aux cuirs. Des substances dites azoïques, très résistantes, qui, sous l’effet de la chaleur, pénètrent rapidement dans les pores dilatés de la peau. « Mille fois plus vite que par la respiration », selon le professeur André Picot, qui étudie la toxicité des substances chimiques. Ces colorants commencent par tacher l’épiderme puis passent dans le sang. Seules les enzymes du foie ou des bactéries de l’intestin peuvent les chasser, laissant toutefois des amines, des molécules dérivées de l’ammoniac dont une vingtaine est « archi cancérigène », selon notre chercheur. Désormais, ces colorants ne sont plus fabriqués en Europe et, en principe, ils n’entrent plus dans la composition des vêtements et accessoires d’importation.
Ce type de teinture présente du reste d’autres risques. Pour obtenir des colorants chimiques, des dérivés du pétrole sont nécessaires et les usines stockent du fuel en grande quantité. Plus d’une usine de teinture a flambé, faisant de nombreuses victimes (plus de mille morts au Bangladesh en avril 2013) et polluant un peu plus l’environnement.
Une synergie unique
D’où le grand retour des couleurs végétales, dont la richesse s’explique par leur complexité qui n’exclut pas certaines molécules potentiellement toxiques. Ainsi, la racine de garance (Asperula tinctoria) longtemps exploitée pour sa couleur rouge, se défend des animaux rongeurs par un toxique, la lucidine. Toute- fois, «l’opération de teinture oxyde la lucidine et la détruit », explique Dominique Cardon, du CNRS. Cette historienne et archéologue des tissus se fait de plus en plus chimiste. Sa somme illustrée, «Le monde des teintures naturelles » (éd. Belin), comporte en annexe une kyrielle de formules qui explorent les liens entre les structures moléculaires et les couleurs.
La garance comporte dix-neuf principes tinctoriaux qui s’expriment en synergie. Jamais la synthèse n’a procuré de coloris aussi riche. C’est sans doute ce qui explique le retour actuel vers ces techniques. Demandez à Michel Garcia comme à tous ceux qui, un jour, sont tombés dans cette pratique et n’en reviennent pas. Par ailleurs, de nombreuses plantes fournissent plusieurs couleurs différentes suivant le traitement subi.
Pour le textile et le cosmétique
La société Couleurs de Plantes est devenue un spécialiste de ces couleurs végétales. « On a ouvert une boutique en ligne parce qu’on avait beaucoup de demandes, mais notre principal client, c’est l’industrie», explique Anne de La Sayette, la directrice. L’entreprise gère ainsi deux lignes de production : des poudres solubles dans l’eau pour les textiles, et ce qu’elle appelle des pigments, au sens des teinturiers, c’est-à-dire une base non soluble pour fabriquer rouges à lèvres, cosmétiques ou des teintures capillaires avec reflets, sans ces terribles effets d’à plat qu’on voit souvent sur les cheveux teints avec des mélanges chimiques. La société a récolté trente tonnes de plantes sèches l’an dernier : garance, réséda, coréopsis, cosmos, sorgho.... Parmi ses clients préférés, les fabricants américains de textiles : « Ça ne les dérange pas qu’au final, on n’obtienne pas exactement la même couleur. Au contraire, ils communiquent dessus », affirme la directrice.
Certaines couleurs demandent de la technicité. C’est le cas des bleus. Beaucoup de végétaux teignent directement, par décoction dans l’eau pourvu que des mordants à base de métaux, comme l’alun,les accrochent sur les fibres, comme on le sait depuis toujours. Les dépôts géologiques d’alun furent d’ailleurs source de grande richesse. Mais un vrai bleu, lui, exige la fermentation d’une plante à indigo. La couleur n’apparaît qu’en fin de processus, lorsqu’on sort de la cuve l’objet alors teint en verdâtre et qui bleuit à l’air libre. On pratique ce tour de magie depuis l’Antiquité, que ce soit en Inde (les bibliographies scientifiques de l’Inde citent abondamment ces extraits de fermentation de végétaux) ou en Afrique, comme dans l’Amérique d’avant Christophe Colomb.
La tradition se maintient, aussi parce que cette couleur a également des propriétés médicinales. Traditionnellement, l’indigo a été utilisé comme cicatrisant. Au Yémen, « quand on achetait des pansements, dans les pharmacies, on vous découpait de la bande d’indigo, en 60 cm », racontait Alain Richert, médecin devenu paysagiste, disparu en décembre.
Tinctoriales et médicinales
Les plantes tinctoriales également thérapeutiques ? Pas de doute, pour Dominique Cardon: «80% des plantes tinctoriales ont des vertus médicinales», affirme-t-elle. C’est aussi pour cela qu’elles « suscitent les convoitises ». On peut ainsi citer les travaux de Vassilis Papageorgiou, de l’université Aristote de Thessalonique, en Grèce, sur la plante méditerranéenne l’orcanette des teinturiers (Alkanna tinctoria), aujourd’hui menacée, dont on extrait un colorant alimentaire industriel (alkanine). La médecine antique la recommandait dans les blessures (usage à l’abandon), mais elle semble très efficace sur les ulcères, selon des publications récentes. Mieux, l’universitaire grec a montré, dans des essais cliniques, l’action d’un autre extrait, la shikonine, sur certains cancers du poumon. Il vient de monter sa start-up afin de couvrir toute la filière de la culture jusqu’à l’extraction du principe actif.
D’autres pigments arrivent sur le marché de la santé. La phycocyanine, que l’on trouve dans certaines micro-algues comme la spiruline, n’est pas seulement l’unique colorant bleu alimentaire naturel autorisé en Europe. La liste de ses propriétés thérapeutiques ne cesse de s’allonger: soutien au système immunitaire, protectrice du foie, anti- inflammatoire, anticancéreuse... Si on connaît depuis des millénaires les capacités des plantes à produire de la couleur, on commence tout juste à envisager les énormes potentiels qu’ont leurs pigments dans le domaine médical.
Les étoiles teinturières : quelques stars du métier
Le carthame des teinturiers (Cathamus tinctorius), donne un rouge rose incomparable par son éclat. Indispensable au XIXe siècle en Europe, il était acheté en Turquie. Très difficile à cultiver, et sur- tout à récolter pour ses épines, il ne se trouve guère qu’au Japon aujourd'hui
Renouée des teinturiers (Poly- gonum tinctorium). Une des sources d’indigo préférée, notamment par le spécialiste Michel Garcia. La société Couleur de Plantes songe à la cultiver pour ses clients fabricants de fard à paupières bleu.
Pastel ou Guède (Isatis tinctoria). La plante a beaucoup fait rêver par son nom qui rappelle Isis, déesse de l’Égypte antique, et est censée évoquer ses vertus curatives. Des tentatives de culture ont eu lieu en Ardèche et dans le gers dans les années 1990. Mais la transformation en indigo coûte assez cher. Et malgré sa capacité à repousser les insectes ennemis des volets et portes en bois, la peinture au pastel des années 90 n’a pas trouvé son marché.
Réséda (Reseda luteola). C’est le jaune le plus fiable et lumineux. Le nom a lui tout seul évoque un monde disparu. Une vraie beauté.
Les incroyables propriétés de la phycocyanine
Les propriétés médicinales de ce pigment bleu des micro-algues s’expliquent par sa capacité à capter les photons de lumière. C’est un antioxydant très efficace (vingt fois plus puissant que la vitamine C) ainsi qu’un dynamisant de notre immunité cellulaire, un antiviral et un anti-inflammatoire. Les pistes thérapeutiques explorées sont nombreuses. La phycocianine est utilisée pour diminuer la toxicité sur le foie de certaines chimiothérapies. Selon des études, elle fait diminuer le taux de sucre dans le sang tandis qu’elle peut aussi aider à réguler les hypothyroïdies. Des propriétés anticancéreuses ont été mises en évidence. On trouve la phycocyanine sous forme déshydratée, mais aussi en extrait fluide (formule plus concentrée et a priori plus efficace).
Faites votre teinture vous-même
On peut facilement s’amuser à teindre de vieux vêtements, avec, pour commencer, des pelures d’oignons. Voilà qui ne pèse rien, il en faut donc beaucoup pour obtenir la moitié, au moins, du poids du tissu sec. Elles teindront en un jaune roux qui tourne au vert anis selon la dose. Un coussin de soie gris clair a viré au bronze mordoré, et mon pyjama blanc à fleurs, en pilou, a pris du chic. Il ne me restait plus d’alun, (Couleurs de Plantes conseille de ne pas dépasser 2 % du poids pour l’alun) alors j’ai fait bouillir les pelures à l’eau, plusieurs heures dans le cuivre, (0,2 % du poids du tissu) avec un quart de verre de vinaigre d’alcool, à feu très doux. De temps en temps, je trempe un coin de tissu blanc, pour vérifier la teinte. Ensuite, je filtre avec une gaze sur la passoire, car les pelures se délitent et les petits morceaux tachent fort. Puis j’emploie le jus comme une teinture du commerce dans la machine à laver. Certains pousseront des cris d’orfraie à cette idée, ceux qui ne jurent que par leur chaudron, jugé plus écolo. En tout état de cause, il faudra alors pouvoir régler la température (mettre à 90° pour le coton par exemple). Ensuite, on peut même récupérer le bain à la sortie pour le réemployer. Pour ma part, je ne me serais jamais lancée sans le beau livre de Catherine Willis. Beau, simple et précis, idéal pour débuter. « Teintures et couleurs naturelles », de Catherine Willis, éd. Dessain et Tolra.