Les Grands Voisins, un labo écolo et social
En plein coeur du XIVe arrondissement parisien, Les Grands Voisins est un lieu éphémère qui joue le rôle de laboratoire d’expérimentation urbaine. Dans l’ancien hôpital Saint-Vincent-de-Paul,les initiatives se cultivent et les connaissances s’échangent comme les légumes s’enracinent.
Derrière le portail d’entrée repeint en jaune, bleu et blanc, l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul du XIVe arrondissement de Paris s’est transformé en une bulle d’utopie foisonnante. Les bâtiments abandonnés en 2012 ont été investis par des milliers de personnes qui ont l’autorisation d’y rester jusqu’à fin 2017, date à laquelle le site devrait laisser la place à un écoquartier. En attendant, les 3,5 hectares sont transformés en centre d’hébergement pour personnes en situation précaire et en locaux pour 130 associations et entreprises. Tous profitent ainsi d’un tremplin solidaire et écologique.derrière le portail d’entrée repeint en jaune, bleu et blanc, l’ancien hôpital Saint-Vincent de Paul du XIVe arrondissement de Paris s’est transformé en une bulle d’utopie foisonnante. Les bâtiments abandonnés en 2012 ont été investis par des milliers de personnes qui ont l’autorisation d’y rester jusqu’à fin 2017, date à laquelle le site devrait laisser la place à un écoquartier. En attendant, les 3,5 hectares sont transformés en centre d’hébergement pour personnes en situation précaire et en locaux pour 130 associations et entreprises. Tous profitent ainsi d’un tremplin solidaire et écologique.
« C’est le plus grand lieu éphémère d’Europe », affirment les initiateurs. Trois associations se coordonnent pour le faire vivre. Aurore a pu installer dès 2012 des centres d’hébergement, puis sont arrivées Plateau urbain et Yes we camp pour développer l’axe social et collaboratif. Ce regroupement a ainsi donné naissance à un laboratoire où se rencontrent toutes sortes d’initiatives sociales, artistiques, scientifiques et écologiques.
Se réinsérer par les plantes
Aujourd’hui, les amateurs d’agriculture urbaine se retrouvent pour échanger des connaissances. Au dernier étage de l’ex-bâtiment de chirurgie infantile, des dizaines de cagettes remplies de semis envahissent une étroite terrasse. Amélie et Loubiana, cofondatrices de l’association Pépins production, arrosent quasiment chaque jour les pieds de basilic citron, menthe, carotte grelot ou encore oseille de Belleville. Elles ont investi la terrasse grâce à un accord avec l’entreprise d’insertion NaturEspaces qui entretient le site. Pépins production fournit des semis en échange de compost de feuilles. Elles profitent d’un beau point de vue sur ces lieux réhabilités : des cages de foot égayent une allée, des photos artistiques habillent les immeubles réhabilités, des oeuvres éphémères créent des zones conviviales sous les allées arborées, des bananiers sauvés de la décharge poussent sur le béton, un camping utilise la phytoépuration, un poulailler et des ruches se cachent derrière une palissade…
Dans une petite cour, un groupe s’affaire autour d’une butte de permaculture. « Il faut désherber, on va éclaircir les laitues », dicte Sergio, accompagnateur de NaturEspaces. Igor, un Estonien de 51 ans et François, un Camerounais de 63 ans, arrachent les herbes à grandes poignées, tandis que Martin, un Polonais de 34 ans, nettoie un cotonéaster. Tous trois ont rejoint un des centres d’hébergement après avoir vécu dans la rue. Ils travaillent maintenant neuf heures par semaine grâce au dispositif premières heures (DPH). Ce programme mis en place par la mairie en 2011 permet de retrouver en douceur le monde de l’emploi. Laure, une bénévole, Béatrice, une voisine, ou Oscar, le coordinateur agriculture urbaine pour Yes we camp s’installent avec les jardiniers et les aident. L’équipe d’insertion travaille tous les mardi et mercredi à l’entretien des espaces verts du site. Et les initiatives ont fleuri. « Le site n’était plus entretenu depuis 2011, « NaturEspaces s’est retrouvé avec beaucoup de bois et de feuilles », explique Oscar. En automne, tout est mis dans un silo avec du grillage et en mars, nous obtenons un super terreau. » L’association IciTerre (lire l’encadré page suivante) s’en est servi pour fabriquer les buttes de permaculture de la cour. Lucas Manganelli, son fondateur, est très content du résultat, d’autant que « personne ne voulait de ce coin trop à l’ombre ». Lui l’a récupéré et a travaillé entre autres avec des résidents pour créer les buttes qui donnent maintenant des salades, de la mélisse, de la rhubarbe et bien d’autres plantes. Il va d’ailleurs bientôt planter des aromatiques pour l’artisan chocolatier du site.
Fertilisation croisée
En échange d’un loyer très bas, les associations et entreprises du site doivent s’impliquer dans le projet. Certains proposent des ateliers de yoga, de couture ou des formations en économie sociale et solidaire, d’autres s’impliquent dans la réinsertion professionnelle des résidents ou encore donnent un coup de main selon leurs compétences. Et tout le monde se laisse aller à fabriquer, inventer, tester au gré de ses envies et aussi des choix fait lors des réunions de coordination. Les animateurs poussent aux échanges entre structures : « la fertilisation croisée », dans le langage des pros de l’économie sociale et solidaire. Des liens que favorisent en particulier les activités liées à la terre.
L’équipe de jardiniers se dirige vers une autre cour, où le jaune des potirons et le vert des blettes animent le béton. Les légumes se détachent du fond bleu de l’immeuble – dit « Pinard » –, l’ancienne maternité, dont les chambres sont occupées par 250 migrants, en majorité des Maliens. C’est l’heure de la récolte. Igor est déjà en pleine cueillette de tomates cerises. « Ah ça, Igor, il travaille ! », s’exclame Béatrice. Ce jardinier au visage buriné ne rate pas une seule heure de travail depuis huit mois. Pourtant, il habite dans un autre centre de stabilisation depuis que le service de maraude l’a trouvé dans la rue. Béatrice et François tendent vite des poignées pleines à Igor. Prévenant, il approche la bouteille où s’entassent les précieux fruits d’un jaune éclatant. « No chemicals », rit Igor (« pas de produits chimiques »). Il ne connaît pas beaucoup de mots en français, mais son humour a fait sa notoriété sur le site.
Les plantes reposent sur les « lasagnes » que les salariés ont fabriquées eux mêmes : une couche de carton, une de branchages, une autre de feuilles mortes et une de compost pour une terre potagère parfaite. Une fois la récolte achevée, tout le monde retourne vers les terrasses en bois de la salle des fêtes – la « Lingerie » – pour déjeuner. Dans les allées, les habitants discutent sur des chaises en bois au milieu des potagers partagés. François, les bras chargés de potirons, souffle un poème de Jean de La Fontaine : « Un paysan sur son lit de mort, dit à ses enfants : travailler, bêcher, il y a un trésor sous la terre. Et voilà, conclut-il en montrant les légumes, c’est notre trésor ». Il vient d’obtenir un contrat dans une association.
À côté de la Lingerie se dresse une serre tout en bois et en plaques de polyester. L’oeuvre de Yes we camp qui regroupe des architectes, des paysagistes et divers autres bénévoles qualifiés qui construisent de très belles installations, comme elle avait déjà créé à Marseille un camping écologique dans le cadre de « Marseille capitale européenne ». La serre des Grands Voisins héberge une expérience d’aquaponie. Des bacs accueillent des carpes dont les excréments sont transformés par des bactéries en nitrite puis en nitrate. Au-dessus, des bacs remplis de billes d’argiles servent de lit de culture. Un système de pompe envoie de l’eau et le nitrate depuis le bac des carpes vers les plantes. D’une main ferme, Philémon déracine un plant de moutarde et la replante dans le lit de billes. « Il y a beaucoup à faire en aquaponie, car on ne connaît quasiment rien. Ici, je teste plusieurs design ». Ce passionné a déjà fait pousser des salades, du basilic, du gingembre, du persil et des tomates qui partent dans les cuisines de la Lingerie.
Plus loin, dans une allée, une immense trottinette fonce en musique. Casquette sur la tête et baskets aux pieds, Mondo, un autre jardinier, dirige le bolide chargé de sacs de terreau. Le jeune homme de 22 ans éteint l’enceinte qui dépasse de sa poche : « Je vais mettre deux sacs de plus. Avec ça, c’est bien moins lourd qu’avec une brouette… » Direction la cours de l’oratoire, le plus vieux bâtiment de l’hôpital, ancien noviciat de prêtre puis orphelinat. Mondo rejoint Abdullah sur leur chantier. « On creuse et on retire toute la vieille herbe pour ajouter du terreau », détaille le jeune homme. « C’est lui le chef », rigole timidement son binôme Abdullah, dernier arrivé dans l’équipe de jardiniers de NaturEspaces. À 22 ans, après un an d’errance sur la route de l’exode depuis l’Afghanistan, il est arrivé en France. « Avant, j’étais conducteur de camion. Mais chez moi, j’ai toujours vu les gens travailler au jardin. » Mondo se tourne vers Sergio : « J’ai une idée, on pourrait mettre des palettes et de la vieille herbe pour faire un passage, là ? » La dynamique est enclenchée. C’est aussi cela que souhaitent les membres des Grands Voisins : permettre aux résidents d’être autonomes.
Un enjeu politique
En plein coeur du XIVe arrondissement de Paris, apporter un peu de mixité sociale n’est pas si facile. C’est pourtant un des objectifs affichés du futur écoquartier qui proposera 50 % de logements sociaux. « On ne reviendra pas sur ce point », insiste Carine Petit, maire de l’arrondissement. Ce qui n’est pas forcément du goût de l’association du quartier Saint-Vincent-de-Paul, fondée par des riverains de l’hôpital. La réussite du projet des Grands Voisins est donc aussi devenue un enjeu politique. Et même si l’occupation est temporaire, elle invite à porter un autre regard, à la fois différent et innovant, sur la vie en ville. Beaucoup d’habitués des Grands Voisins y voient d’ailleurs un vrai projet de société et espèrent que cela transformera durablement le quartier. En sortant de l’enceinte de l’ancienne maternité la plus connue de Paris, l’impression de fouillis ressenti en entrant laisse la place à celle d’une ruche urbaine pleine de promesses.
Méditation, jardinage et réinsertion
L’association IciTerre mêle le retour à la terre et le bien-être. Ainsi, elle organise des séances collectives de qi gong et de permaculture. Pour Lucas Manganelli, le président, le jardin est en correspondance avec des paysages intérieurs et les saisons sont liées à notre corps. Il propose de la méditation et des ateliers jardin pour les résidents des centres d’hébergement. Il intègre aussi deux personnes en dispositif premières heures (DPH) trois heures par semaine pour la culture de jeunes pousses de radis, de tournesol ou de lentilles qu’il vend à trois restaurants parisiens. Il faut attendre une à deux semaines de croissance pour obtenir des plants plein de nutriments, et les demandes sont telles que l’équipe s’est mise à produire 100 barquettes par semaine.