Bruno de Foucault La botanique est vivante!
Botaniste, amateur de mathématiques, féru de philosophie et d’ethnosciences, Bruno de Foucault réunit ses talents dans la phytosociologie. Il vient de coordonner un ouvrage de référence sur la flore de France. Mais au fait, quelle place réserve-t-on à la botanique aujourd’hui ? Propos recueillis par Sophie Bartczak
Plantes & Santé Vous terminez la coordination d’un ambitieux ouvrage collectif très attendu qui recense la flore de France de manière inédite. Les connaissances en botanique évoluent-elles encore ?
Bruno de Foucault Bien sûr ! Comme toutes les sciences, la botanique est vivante et elle évolue. Depuis Linné, qui a doté les plantes d’un nom en deux parties, elle s’est beaucoup structurée. La famille de Jussieu, sur deux ou trois générations, a fait un énorme travail de classification des plantes. Mais, sans conteste, c’est le décodage génétique des plantes qui a fait le plus avancer nos connaissances. Développée dans les années 2000, cette nouvelle approche a permis de les regrouper dans des familles en étant sûr de leurs points communs.
P. & S. Il y avait eu des erreurs de classement ?
B. de F. En effet, la famille des Scrophulariacées, par exemple, comportait classiquement les digitales, les véroniques, les gueules-de-loup et les euphraises. En analysant leur ADN, on s’est rendu compte que plusieurs de ces plantes, comme l’euphraise, sont des semi-parasites (dépourvues de vraies racines, elles doivent détourner les sels minéraux et l’eau de leurs hôtes via des suçoirs) ; récemment elles ont rejoint la famille des plantes parasites, les Orobanchacées. Aujourd’hui, de la famille des Scrofulaires, il ne reste plus en France que les scrofulaires, les molènes (dont le bouillon-blanc) et la limoselle; mais on y place aussi des espèces arrivées d’ailleurs comme l’arbre à papillons, le buddleia.
P. & S. Pourquoi est-ce si important de classifier les plantes ?
B. de F. Connaître les vraies classifications et appartenances d’une plante permet de mieux la comprendre, de savoir d’où elle vient, quels sont ses parents, ses frères et sœurs et cousins. Pour un scientifique, qui par exemple cherche des plantes à alcaloïdes pour développer un médicament, ces indications lui permettront d’orienter ses recherches vers la famille des Solanacées (belladone, pomme de terre, jusquiame...).
P. & S. Quelle...
place occupe la botanique par rapport aux démarches de biodiversité qui prévalent aujourd’hui ?
B. de F. Pour sauvegarder la biodiversité, il faut la connaître. Les herbiers, puis aujourd’hui les conservatoires botaniques, préservent un grand nombre d’espèces dont certaines apporteront peut-être des réponses aux nouvelles contraintes climatiques ou plus généralement environnementales (réutiliser d’anciennes variétés de blé, par exemple). Aujourd’hui la botanique regroupe plusieurs spécialités : les phytogénéticiens, les botanistes systématiciens qui travaillent à la connaissance précise des espèces, les spécialistes des écosystèmes qui observent les interactions entre les plantes et les animaux notamment, enfin les phytosociologues, dont je fais partie, qui étudient les communautés de plantes.
P. & S. En quoi consiste la sociologie des plantes ?
B. de F. Alors que la botanique systématique observe individuellement chaque plante, la phytosociologie étudie la végétation dans son ensemble. Nous observons les groupements et associations d’espèces qui sont rarement aléatoires. On repère de manière statistique les combinaisons de plantes qui se répètent en fonction d’un environnement donné, lesquelles contribuent par ailleurs à former des paysages spécifiques : les pelouses de haute montagne, les marais, les landes, les prés-salés...
P. & S. Qu’est-ce que ces disciplines apportent aujourd’hui à la société civile ?
B. de F. C’est d’abord une partie de notre patrimoine culturel ; il est important que des personnes connaissent et sachent reconnaître les plantes, ne serait-ce que pour répondre aux centres antipoison...
Ensuite, une approche synthétique permet de faire des prévisions afin de prévenir des accidents écologiques comme le déplacement d’espèces avec le réchauffement climatique ou le développement de plantes invasives. Nous travaillons aussi avec les conservatoires d’espaces naturels et l’Office national des forêts (ONF) qui sont très friands de nos conseils et observations sur la façon dont ils gèrent leur patrimoine végétal et la sauvegarde de la biodiversité. Heureusement que tous ces acteurs continuent de faire appel à la botanique car, en France, l’enseignement et la recherche tendent à disparaître. Aujourd’hui les grands laboratoires de botaniques se sont déplacés à Londres (Kew), Berlin, New York (Missouri Botanical Garden) ou à Uppsala, la ville natale de Linné.
Parcours
1951 Naissance à Tournebu, dans le Calvados.
1974 Diplôme d’ingénieur agronome (INA Paris-Grignon)
1978 Enseignant-chercheur au département de botanique de la faculté des Sciences pharmaceutiques et biologiques (Lille II) jusqu’en 2011.
1984 Docteur d’État ès sciences naturelles
1985 Parution du «Petit manuel d’initiation à la phytosociologie sigmatiste » à l’intention des débutants.
1996 Rédacteur à Acta Botanica Gallica, revue botanique de niveau international, jusqu’en 2011.
2001 Pilotage du collectif Flora Gallica, flore de France (60 experts).
2011 Vice-président de la Société botanique de France jusqu’à ce jour.
2014 Publication de «Flora Gallica, flore complète de la France ». Conseil scientifique pour plusieurs conservatoires botaniques.
Un événement
Près de quinze ans de travail ont été nécessaires à un comité de plus de soixante spécialistes réunis par la Société botanique de France (SBF) autour de Jean-Marc Tison et Bruno de Foucault pour aboutir à cet ouvrage de référence. Destiné aux professionnels et réuni en un seul tome d’environ 1 400 pages, cet ouvrage encyclopédique se veut aussi un outil de terrain. Très attendu par la communauté botanique, il référence l’ensemble de la flore française décrivant notamment 5 000 espèces spontanées, les intégrant dans la classification la plus récente issue des travaux des grandes équipes internationales. La dernière flore française date de plus de trente ans ! Ce manuel devrait devenir une référence pour le travail des conservatoires botaniques nationaux ; les bureaux d’étude sollicités lors de projets des réseaux autoroutiers, ferrés ou électriques, toutes les études d’impact environnemental.