François Sautel « J’espère que notre projet va redynamiser la recherche de produits naturels »
Avec « Nature Open Library », le laboratoire Pierre Fabre veut permettre à d’autres acteurs d’utiliser sa collection d’extraits de plantes pour développer la recherche en phytopharmacologie ou dans d’autres domaines. Le chercheur François Sautel a pris les rênes du projet. Rencontre avec le porteur d’une vision qui bouscule certains codes de la recherche en phytothérapie.
Plantes & Santé D’où vient cette idée d’ouvrir votre collection de plantes à des chercheurs extérieurs ?
François Sautel Nous nous sommes demandé pourquoi nous garderions cette belle collection de 16 000 plantes uniquement pour nous, et seulement pour nos domaines de recherche : la dermatologie, les anti-cancéreux, le système nerveux central. Ouvrir notre collection comporte certes un risque, celui de laisser d’autres entreprises mettre au point des traitements à notre place. Mais nous avons l’intention depuis plusieurs années de développer des partenariats. C’est un véritable échange, et cette nouvelle approche nous permet d’avoir accès à une technologie que nous ne possédons pas et que nous ne maîtrisons pas. Les biotechs, par exemple, sont des laboratoires de petite taille qui disposent d’une technologie originale. Eux ont besoin de molécules issues de plantes ressources pour tester leurs produits. De notre côté, nous leur apportons notre expertise sur la vérification de l’origine des plantes et la purification des molécules. Cela peut nous amener une nouvelle chémodiversité (diversité chimique). C’est un peu comme si on confiait une partie de nos recherches à quelqu’un d’autre. Cela ouvre aussi nos champs de recherche dans des domaines où nous ne travaillons pas, comme l’infectiologie, ou l’agrochimie.
P & S Qu’y a-t-il dans cette fameuse bibliothèque ?
F. S. Le laboratoire Pierre Fabre possède presque 16 000 plantes qui représentent 7 000 espèces. Elles sont stockées dans ce que nous appelons notre échantillothèque, notre bibliothèque d’échantillons. Chaque extrait est déshydraté et conservé dans une boîte en plastique par espèces. Mais nous avons aussi un millier de plantes fraîches dans le Jardin botanique de Castres, site historique de Pierre Fabre. Plus de 200 plantes y sont d’ailleurs cultivées pour nos produits. C’est un lieu de recherche dans lequel nous conservons nos herbiers, nos semences, mais aussi des plantes parfois rares. Il est plus difficile de conserver les plantes fraîches, mais cela peut être utile, dans le cas des plantes rares, pour effectuer des cultures cellulaires. Dans la majorité des cas, les plantes fraîches ne sont pas nécessaires pour la recherche. D’ailleurs, quand on veut enrichir notre collection de nouvelles plantes, 1 à 2 kg de plante sèche suffisent pour réaliser de nombreuses extractions. Les publications scientifiques sont dans le domaine public. Mais nous possédons une base de données en interne que nous pouvons partager. En fonction du thème de recherche du partenaire, nous vérifions si nous possédons quelque chose qui l’intéresse. On peut aussi l’aider à orienter ses recherches vers certains types d’échantillons qui nous semblent mieux correspondre à ses attentes.
P & S Est-ce que ce besoin d’ouverture reflète un problème dans la recherche phytothérapeutique actuelle ?
F. S. Aujourd’hui, la recherche de manière générale est en baisse. Et pourtant le potentiel est énorme. On estime à une centaine de milliers le nombre de molécules décrites chaque année. Nombreux sont les laboratoires qui...
mettent de côté la recherche de nouveaux principes actifs, sauf pour les plantes communes. En effet, il est difficile d’avoir à sa disposition tous les outils nécessaires à l’identification des actifs, puis de réaliser l’extraction et la purification. Il faut aujourd’hui aller plus loin chimiquement, et cela demande des outils plus fins.
De plus, une autre difficulté surgit lorsque l’on veut passer d’une molécule intéressante à la commercialisation d’un produit. Le changement d’échelle lié à l’industrialisation n’est pas à la portée de tous. En laboratoire, il est possible d’extraire quelques milligrammes, mais au-delà c’est plus dur : il faut sourcer le produit, c’est-à-dire vérifier l’origine du principe actif et de la plante. Ensuite, il faut maîtriser la filière. Pour être sûrs de pouvoir produire, nous cultivons certains produits, comme la pervenche tropicale à Madagascar. Et si besoin, pour les plantes rares, nous passons en culture cellulaire et nous faisons pousser les cellules en boîte de Petri. Certains laboratoires ont arrêté, non par dépit, mais Le laboratoire Pierre Fabre possède presque 16 000 plantes dans sa bibliothèque d’échantillons. parce qu’ils n’ont pas les outils qu’il faut. Souvent, les entreprises s’arrêtent en phase de recherche. C’est le cas d’une PME qui était bloquée par la capacité à industrialiser. Nous avons la chance de gérer l’ensemble de la chaîne, de la plante jusqu’au produit final. Nous sommes capables d’ouvrir nos usines s’il y a des créneaux ouverts. Quand nous avons présenté notre démarche, nous avons montré notre système industriel, les gens ont compris qu’il était possible de faire quelque chose. Je suis pour ma part convaincu qu’il y a encore beaucoup à découvrir. Je voudrais que notre projet aide à redynamiser la recherche de produits naturels.
P & S, Mais est-il encore possible de trouver de nouvelles molécules dans votre collection ?
F. S. On n’a jamais d’idées préconçues sur le nombre de molécules que l’on peut trouver dans une plante. Un échantillon ne correspond pas à un seul produit, c’est un ensemble de molécules. Sur les 200 000 espèces de plantes, beaucoup sont déjà cartographiées chimiquement, mais il s’agit seulement des éléments les plus faciles d’accès. Pour aller plus loin, il est nécessaire d’avoir recours à des outils plus fins. Du côté de la chimie, il y a toujours la possibilité de trouver de nouvelles empreintes chimiques. En biologie, on peut découvrir de nouvelles applications pour une plante déjà connue. Notre ambition n’est pas d’avoir 200 000 plantes, mais la répartition la plus large possible. Nous mettons en évidence chaque année 3 à 5 nouveaux actifs sur l’ensemble de notre collection. Nous sommes toujours à la recherche de produits originaux.
P & S Votre projet ressemble à de l’open source, est-ce cela ?
F. S. Ce terme m’a toujours un peu gêné. Cela correspond à quelque chose de gratuit, d’ouvert, qui est dans le domaine public. Je dirais plutôt qu’il s’agit d’open innovation. On crée de la valeur économique et scientifique grâce à notre savoir et notre tradition de recherche. Il vaut mieux trouver quelque chose à plusieurs que ne pas trouver tout seul. On va peut-être perdre quelque chose si une PME n’est pas à l’aise avec la capacité de développement clinique. Alors, pourquoi ne pas devenir partenaires commerciaux ? Bien sûr, si l’entreprise ne souhaite pas partager sa découverte avec nous, elle peut choisir de nous verser un dédommagement.
P & S Vous avez donc des conditions très précises pour ces partenariats ?
F. S. Oui. Dans le contrat, il y a une clause de devoir de négociation. Nous écrivons très clairement qu’en cas de découverte, nous devons regarder ce qui a été trouvé. Si l’entreprise partenaire ne veut pas aller plus loin avec nous, elle nous paye une sorte de licence. Cela peut aussi ne pas nous intéresser. Certains nous demandent l’accès à toute notre gamme de produits. On ne va pas tout libérer, c’est sûr. Mais on va regarder ensemble les besoins des personnes qui nous contactent. La création du partenariat se fait en plusieurs étapes. En premier lieu, on essaye de comprendre quel est le besoin et si on peut y répondre. Ensuite, nous passons un accord de secret où l’on fournit une liste des échantillons que nous possédons. Si cela convient, on passe un engagement, on signe un accord et on envoie les échantillons pour débuter la recherche.
P & S Cela a-t-il bien fonctionné, et votre projet intéresse-t-il des structures ?
F. S. En tout, nous sommes en négociation avec une vingtaine de biotechs, de PME et même de grands groupes. Et en plus de cela, trois contrats ont été signés. Plasticell est une entreprise anglaise avec un modèle sophistiqué de cellules souches grâce auquel elle souhaite trouver des molécules pour lutter contre le diabète. Vibiosphen, spécialisée dans le domaine des maladies infectieuses, pourra identifier des molécules pour la lutte contre les bactéries résistantes aux antibiotiques. Quant à notre dernier contrat, qui date du 23 mars 2017, il s’agit de Setubio, qui a besoin de nouveaux actifs pour cibler des antiseptiques.
Parcours
1990 Diplôme d’ingénieur biochimiste.
1993-1996 Travaille comme chercheur en pharmaceutique à l’Inserm.
1995 Entre chez Pierre Fabre comme chercheur en phase préclinique pour le développement de médicaments.
2000 Participe à la création de l’anti-cancéreux Javlor.
2006-2015 Coordonne la recherche de partenariats de recherche privé/public dans une structure mixte CNRS et Pierre Fabre.
2015 Devient responsable des initiatives d’open innovation.
Fin 2015 Lancement de « Nature Open Innovation ».
La quête des molécules se poursuit
Il est aujourd’hui moins facile de trouver de nouvelles plantes médicinales. Cependant, des actifs sont encore découverts régulièrement. Pour cela, la chimie, avec des outils de plus en plus développés, devance l’ethnobotanique. L’eucalyptus, par exemple, a déjà livré de nombreux composants qui intéressent les laboratoires pour les thérapies du système nerveux central. Il s’agit de six molécules de phloroglucinol, un composé organique antispasmodique. En 2014, deux nouveaux types de phloroglucinols ont encore été trouvés dans des feuilles d’eucalyptus globuleux, grâce à une extraction utilisant comme solvant le CO2 supercritique. Les scientifiques s’appuient tout de même sur les usages traditionnels des plantes pour trouver les actifs. Début 2017, une équipe de chercheurs a caractérisé chimiquement un extrait de chardon sauvage, courant dans la diète méditerranéenne, puis l’a testé sur un type de cellules cancéreuses liées à la leucémie myéloïde chronique. Jusque là, cette plante avait eu des résultats sur un cancer affectant les globules blancs. Cette découverte pourrait servir au lancement d’un nouveau traitement.
Protéger pour commercialiser
Pour protéger ses filières et développer la recherche, le laboratoire Pierre Fabre a développé un conservatoire botanique dans le sud-est de Madagascar ainsi qu’un programme de sauvegarde des plantes malgaches rares. Plusieurs plantes ont fait l’objet de projets de protection : trois espèces de baobabs, Adansonia grandieri, Adansonia za et Andasonia rubrostipa ainsi que deux nouvelles espèces de pervenche tropicale. Le baobab peut servir comme fébrifuge, diurétique et contre les diarrhées et l’inflammation du tube digestif. La famille des pervenches continue d’être explorée pour produire les anti-cancéreux du laboratoire.