Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

Walter Lopez, confidences d’un chaman amérindien

Chaman amérindien

Désigné dès le berceau pour devenir guérisseur, Walter Lopez pratique depuis vingt ans la médecine traditionnelle shipiba, du nom de son peuple. Il était à Paris le mois dernier, invité par l’association Cœur de Forêt qui organisait la Quinzaine amazonienne. Ce chaman engagé nous fait découvrir les coulisses de son art sacré. Un voyage initiatique au cœur de la forêt amazonienne péruvienne.

Plantes & Santé  Quelles sont les bases de la  médecine shipiba ?
Walter Lopez Mon univers est connecté au monde végétal dans lequel on classifie trois grands types de plantes. Il y a des herbes utilisées de manière locale, sous forme de baume par exemple, pour traiter les blessures. Elles ne sont que curatives, n’ont pas un esprit très fort et soignent des maux du corps très précis. Puis il y a les plantes qui peuvent être utilisées de manière plus profonde : elles sont curatives et médicinales car elles vont s’introduire au cœur des organismes. Nous les préparons sous forme de boisson de bain pour soigner par exemple des gastrites. Enfin, nous avons les plantes maîtresses, qui sont curatives et médicinales, mais aussi enseignantes : elles peuvent soigner la partie physique et effectuent un travail spirituel plus profond en agissant via la spiritualité. Dans leur apprentissage, les guérisseurs les prennent afin de devenir des hommes de connaissance et de sagesse. Chaque plante maîtresse a son pouvoir et son esprit propres.

P.  &  S.  Pouvez-vous  nous  donner  des  exemples de ces plantes maîtresses ?
W. L. Les plantes de la première catégorie sont très nombreuses et souvent, nous connaissons seulement leurs noms vernaculaires. Pour cicatriser ou stopper l’hémorragie, on peut prendre de la sève de bananier plantain. Dans la seconde catégorie, citons la hierba luisa (citronnelle), utilisée comme une purge pour les problèmes d’estomac, et le matico (Piper aduncum) employé pour soigner les ulcères. Les troisièmes servent à combattre les problèmes plus sérieux : dans ce cas, on va devoir agir au niveau physique et mental. Le guérisseur expérimente lui-même ces plantes pour savoir comment elles agissent sur un problème. Il y a l’ayahuma (Couroupita guianensis), la requia (Guarea guidonia) ou encore la shihuahuaco (fève tonka).

P. & S.  Comment se passe la prise en charge  d’un malade ?
W.  L. Dans la médecine occidentale, un malade passe une série d’analyses, et c’est souvent long avant de déterminer le problème. Le guérisseur traditionnel fait la même chose, mais plus rapidement. Quand un patient arrive, souvent désespéré, le guérisseur fait une cérémonie d’analyse en prenant de l’ayahuasca (liane d’amazonie...

utilisée par les chamans, ndlr). Ce breuvage réalise une sorte de radiographie, sans que le patient n’ait besoin de parler. L’esprit de la plante, que le guérisseur connaît depuis son apprentissage, va lui indiquer les solutions pour guérir son patient. Elle va montrer, par des visions, quelles plantes il va falloir donner au malade, et comment. Le jour suivant, le guérisseur va chercher les plantes, les pré- parer et les donner à son patient.

P.  &  S.  Où  trouvez-vous  les  plantes  et  comment les préparez-vous ?
W. L. J’en ai autour de la maison, mais je dois parfois aller les chercher dans la forêt. Pour les guérisseurs, il est primordial que la plante soit encore fraîche lors de la préparation. Quand elle entre dans un processus de transformation, elle perd en force et son effet peut être plus long à se manifester. Il est important de respecter un rituel au moment de la cueillette. Il y a des plantes jalousesquimedisent :«Tu dois venir me voir sans que personne ne te voie ». Il faut dans ce cas partir pendant la nuit et leur demander la permission de cueillir, en utilisant des mots ou en entonnant des chants, donner une contribution, du tabac par exemple, pour que l’esprit de la plante puisse fumer et se connecter avec le guérisseur. Ensuite, on peut commencer la préparation, mais toujours en cachette. Tout ce rituel doit être réalisé à jeun pour que l’âme, l’esprit et le cœur soient purs. Selon la maladie, le jeûne va être plus ou moins long. Le travail d’un guérisseur est un sacrifice. Travailler avec les esprits des plantes, leurs énergies, est un engagement difficile. Et le guérisseur doit veiller à ce que son patient soit en confiance. Autrement, le traitement sera inefficace. Quand un patient me demande ce que le remède contient, je l’invite à boire d’abord et à discuter ensuite.

P. & S.  Nous vous présentons comme chaman, mais comment désigne-t-on les guérisseurs en shipibo ?
W. L. Nous avons quatre types de guérisseurs qui correspondent à différents niveaux de connaissance. Le premier niveau est le ráo onan, celui qui a appris par la transmission orale et sait soigner un type précis de maladie. C’est l’équivalent d’un herboriste. Il y a ensuite le tobi onan, le masseur : il connaît tous les points du corps car il a fait un travail avec les plantes qui ont transmis du pouvoir à ses mains. Le troisième niveau est le onanya, qui connaît les maladies, les plantes, les mas- sages et prend de l’ayahuasca. Il travaille avec les propriétés des plantes, mais aussi avec leurs esprits. C’est « l’homme qui sait », en shipibo. Le niveau maximum est le meraya : c’est celui qui a déjà toutes les connaissances, le sage. Pour faire son diagnostic, il n’a pas besoin d’information sur son patient, il lui suffit de boire l’ayahuasca, et parfois, il n’a même pas besoin d’en prendre... Le meraya est connecté avec le monde de l’invisible et de la transformation. Il peut prendre de l’ayahuasca et disparaître, ou bien son esprit peut se transformer en celui d’un animal ou d’une femme. Il est vraiment connecté avec les dieux. Les merayas peuvent protéger un peuple entier, par leurs chants et leurs énergies. Les peuples indigènes qui ont perdu ces hommes sont des peuples sans dieux.

P. & S.  Comment se passe l’apprentissage  avec les plantes maîtresses ?
W. L. L’apprentissage commence par la maîtrise de l’alimentation, car pour mettre de l’ordre dans son esprit, il faut avant tout du contrôle dans ses activités quotidiennes. Il faut acquérir une discipline pour qu’ensuite la plante puisse nous enseigner. En même temps, nous prenons la plante sous la forme d’une boisson, par exemple : elle va nous nettoyer et ordonner nos connaissances. Il y a des plantes pour devenir onanya, et d’autres pour devenir meraya. Je me situe entre ces deux niveaux. J’ai aujourd’hui 37 ans, et j’ai dédié toute ma vie à cette médecine, mais j’ai aussi étudié à l’université pour pouvoir communiquer avec le reste du monde. Mon nom shipibo m’a été donné dès le berceau, c’est le même que mon grand-père qui était aussi guérisseur : Panshin Nima, l’« homme doré ».

P.  &  S.  Combien  de  Shipibos  pratiquent  encore cette médecine ? Comment sont-ils  considérés dans le reste du Pérou ?
W.  L. Dans toute la population shipiba (10 000 à 20 000 personnes, ndlr), on compte une trentaine de guérisseurs. Avec l’évangélisation de la population, les gens se sont éloignés de cette médecine, mais aujourd’hui, beaucoup de personnes reviennent. Je vois de plus en plus de gens prendre de l’ayahuasca, des Shipibos, mais aussi des personnes du reste du Pérou. Nous avons créé avec mes frères le Centre culturel des savoirs ancestraux dans mon village, à San Francisco. Et nous voulons organiser un grand festival en août prochain pour fortifier les connaissances des générations anciennes. L’objectif est de réunir tous les guérisseurs et toutes les générations pour qu’on puisse échanger et soigner le peuple.

Soutenir Cœur de forêt

Créée en 2005, l’Association Cœur de forêt  agit à différents niveaux au sein du peuple  shipibo. Aux dernières nouvelles, la production  d’huile essentielle de piripiri, une plante  sacrée, se poursuit. Par ailleurs, l’association a  planté près de 30 000 arbres dans une logique  agroforestière. Enfin, elle est partenaire du  festival culturel Shipinawa Bakebo que Walter  Lopez veut organiser en août 2015. Vous pouvez  soutenir ce projet en participant à la campagne de crowdfunding sur le site d’Ulule.http://fr.ulule.com/quinzaineamazonienne

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