« Les légumineuses, une aubaine pour la santé et l’environnement »
L’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a déclaré 2016 Année internationale des légumineuses. Pour Jean-Michel Chardigny, chercheur à l’Inra, elles doivent retrouver une place importante dans notre alimentation. Pour notre santé, et de celle de la planète.
Plantes & Santé - Vous animez à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) une réflexion sur les protéines durables. Les légumineuses apportent-elles des solutions pour l’avenir de l’alimentation humaine ?
Jean-Michel Chardigny En 2050, la planète portera 9 milliards d’êtres humains. Or les études prospectives montrent que la tension alimentaire concernera les protéines plutôt que les glucides ou les lipides. Quand le PIB d’un pays s’accroît, c’est surtout la consommation de protéines, notamment animales, qui augmente. Le coût d’un accroissement de la production de viande peut être lourd au niveau environnemental et énergétique puisqu’il faut en moyenne 5 kg de protéines végétales pour produire 1 kg de protéines animales. L’intérêt d’augmenter la consommation de légumes secs permet de diminuer la tension alimentaire sur les protéines, sans peser sur la planète. En France, la marge de progrès est grande puisqu’on consomme deux tiers de protéines animales pour un tiers de protéines végétales.
P. & S. Pourquoi les Français consomment-ils si peu de légumineuses ? Est-ce une question d’offre sur le marché ou plutôt d’habitude de consommation ?
J-M. C. Avant-guerre, nos grands-parents consommaient 7 kg par an de haricots, lentilles ou pois, alors qu’aujourd’hui, nous n’en mangeons que 1,4 kg en moyenne. De nos jours, les légumineuses ont une image d’aliments du pauvre, difficiles à digérer... Pour beaucoup de gens, ce sont des aliments désuets, que nos grands-mères devaient laisser tremper la veille, donc peu adaptés au rythme de vie actuel. Certes, la production agricole française est très faible [les surfaces représentent moins de 300000 hectares, principalement pois protéagineux et féveroles, contre 9 millions d’hectares de céréales, ndlr]. Mais si les Français voulaient manger plus de légumes secs, les importations pourraient couvrir la demande.
P. & S. Sur quel levier peut-on agir pour relancer la consommation de légumineuses ?
J-M. C. C’est par l’éducation des consommateurs que l’on relancera la demande. Pour cela, les légumineuses doivent être plus présentes en restauration collective et scolaire. Dans la pyramide alimentaire, elles sont classées parmi les féculents qui ont une image négative...
de produits très énergétiques, source de ballonnements ; il faudrait les positionner à l’étage des aliments protéinés qui ont une connotation positive. Ces aliments sont une source de protéines très actuelle : de plus en plus de travaux scientiques montrent qu’ils ont des effets très positifs sur la santé et l’environnement. L’augmentation de la demande relancera aussi la production agricole française.
P. & S. À qui incombe le rôle de promouvoir ces aliments ?
J-M. C. De la même manière que le Plan national nutrition santé (PNNS) fait campagne en faveur des fruits et légumes, il doit aussi mener des actions d’éducation pour la consommation de protéines végétales. Le rôle incombe donc aux politiques publiques. De notre côté, à l’Inra, nous devons fournir des connaissances scientiques et des innovations agronomiques et industrielles, notamment des nouveaux produits adaptés aux modes de vie du XXIe siècle.
P. & S. Sur quelles innovations travaillent les chercheurs de l’Inra pour remettre les légumineuses au goût du jour ?
J-M. C. Mes collègues ont par exemple déposé un brevet pour des pâtes 100 % légumineuses, deux fois plus riches en protéines que des spaghettis classiques, et adaptées au régime sans gluten. À base de fèves ou de lentilles vertes, cette nouveauté intéresse beaucoup les industriels, car ces derniers peuvent les fabriquer avec leurs équipements standards. Il faut également développer une offre de plats précuits et formuler des aliments nouveaux, comme c’est déjà le cas pour le soja avec lequel on prépare des steaks végétaux.
P. & S. En France, un agriculteur bio sur deux cultive des légumineuses, alors qu’ils sont moins d’un sur trois en conventionnel. Pourquoi ?
J-M. C. Les systèmes agricoles de culture biologique doivent faire face à deux problématiques principales. La fertilisation azotée et la gestion des mauvaises herbes [puisque le recours aux engrais et aux pesticides chimiques est interdit, ndlr]. Par rapport au premier point, les légumineuses ont le pouvoir de fixer l’azote dans le sol. Elles jouent donc un rôle essentiel dans les rotations des systèmes bio pour fournir de l’azote à la culture suivante. Quant à la gestion des mauvaises herbes, leur cycle est rompu par la culture des légumineuses, dont les dates de semis sont différentes de celles des céréales, par exemple. On comprend ainsi les avantages environnementaux de ces cultures puisqu’elles n’ont pas besoin d’engrais chimiques qui sont l’une des principales contributions de l’agriculture au réchauffement global.
P. & S. Pourquoi la FAO a-t-elle choisi de consacrer l’année 2016 à la promotion des légumineuses ?
J-M. C. Le Canada est à l’initiative de cette campagne. Là-bas, la consommation de légumineuses est exemplaire, puisqu’elle atteint 10 kg par habitant et par an. Dans ce pays d’Amérique du Nord, ces aliments permettent de mieux lutter contre l’obésité qui frappe durement la région, car c’est une source de protéines qui, contrairement à la viande, n’apporte pas de mauvaises graisses. Mais si la FAO a décidé d’accompagner cette prise de conscience, c’est aussi parce que cette organisation a pour mission de lutter contre la faim dans le monde. Or les légumes secs ont aussi cet avantage de représenter une source de protéines très abordable.
Parcours
1989 Doctorat de l’université de Bourgogne en physiologie, spécialité nutrition.
1990 Travail post-doctoral, service de pharmacologie, Direction générale de l’armement, Île-de-France.
1990 Chargé de recherches à l’Inra, Unité de nutrition lipidique, Dijon.
2006 Directeur de recherches à l’Inra, Unité de nutrition humaine à l’Inra, Clermont- Ferrand.
2006-12 Membre du Comité d’expert « Nutrition humaine » de l’Anses.
2008-2013 Directeur de l’Unité de nutrition humaine, Clermont-Ferrand.
2010 Accès à la première classe du corps des directeurs de recherches.
2011 100e publication originale dans une revue à comité de lecture.
2014 Chargé de missions, département Alimentation humaine et systèmes alimentaires sains et durables.
2016 Chargé de partenariat et d’innovation sur le thème des protéines durables pour l’alimentation humaine et animale.
Dépendance au soja OGM
Après la Seconde Guerre mondiale, des accords commerciaux ont été passés entre les États-Unis et l’Europe. Il a été décidé que les premiers se spécialiseraient dans la culture du soja, une légumineuse, comme nourriture d’élevage, tandis que l’Europe produirait des céréales. Or plus d’un demi-siècle plus tard, ces choix ont profondément marqué les systèmes agricoles : en France, des variétés de céréales très performantes ont été créées ; en revanche, le savoir-faire autour des légumineuses s’est perdu et les surfaces qui leur sont consacrées sont réduites aujourd’hui à 2 % de l’assolement dans l’Hexagone. Pire, tout le système agricole français est organisé de manière à ce que les changements soient compliqués, en termes d’équipement agricole ou de transformation agro-industrielle. Autre problème, la dépendance de l’élevage au soja américain est telle qu’en dehors de certains labels comme le bio, le bétail en France est quasi exclusivement nourri aux OGM...