Épices au menu à la mode ayurvédique
Les épices venues d’Inde sont de vraies auxiliaires de santé en s’inspirant de la sagesse de l’ayurvéda. Judicieusement choisies, elles ont leur mot à dire dans l’entretien du feu digestif en particulier, essentiel à l’équilibre corporel.
Se laisser ravir par la cardamome, le fenugrec, le curcuma et le safran est un bonheur culinaire. Toutefois, manier les épices indiennes suppose un peu d’attention. Dire « curry », c’est ne rien dire. Car bien des épices entrent dans sa com- position. En outre, en ayurvéda, mère de toutes les médecines, les épices peuvent être de précieuses alliées de santé. À quelques conditions.
Les cinq éléments et le feu digestif
Ayurvéda ? Le mot est traduit du sanskrit par science/connaissance (veda) de la vie (ayur). Tout y est expliqué et tout en découle, jusqu’à la réalisation de soi. Rare ambition, surtout en cuisine. Bien avant que l’Occident n’ait eu besoin d’études cliniques pour comprendre l’importance de l’alimentation dans la santé, « le feu digestif a toujours été au cœur de la pratique», résume Kirian Vyas qui fait connaître l’ayurvéda en France depuis trente ans. Ce feu va au-delà du simple métabolisme et concerne aussi les émotions. « Car mal digérées, elles peuvent à la longue créer des maladies », ajoute Bérengère Bérieau, médecin spécialiste installée en Inde.
Afin d’entretenir ce feu interne, l’ayurvéda prend en compte les cinq éléments : éther, air, feu, eau et terre. Mais surtout, elle utilise la notion complexe de dosha, qu’on peut traduire par « ce qui peut créer ou défaire un équilibre ». En substance, il faut comprendre que notre bonne santé naît des interactions entre deux doshas : d’un côté, celui de notre constitution de naissance (prakurti), qui dit que l’on est plutôt vata (air et éther), pitta (feu et eau), ou kapha (terre et l’eau)... Et, de l’autre, le dosha du moment, dit vikruti, qui est en manque ou en excès. Parfois pour une simple raison d’âge ! En effet, selon l’ayurvéda, on reçoit avec les années des énergies différentes. Plutôt une énergie kapha pendant la jeunesse, pitta à l’âge adulte et vata après 55 ans.
Des épices et des doshas
Ensuite, en accord avec l’environnement,« chaque aliment, chaque épice doit être choisi avec soin afin de réguler le feu digestif», résume Éveline Mathelet, présidente de l’Association ayurvéda en France. Trop faible, on parle de feu digestif kapha qui suppose une digestion lente et lourde, et qu’on va aider par du piquant ou de l’asséchant. Outre les aliments, les épices réchauffantes comme le poivre, le gingembre sec, sont alors appropriées. Trop fort, le feu pitta a besoin d’épices adoucissantes. Comme le cumin, la coriandre, l’anis ou le fenouil. Quant au feu irrégulier, il peut donner comme une envie récurrente de manger ou une impression de satiété arrivée plus vite que prévue. Là, des épices régulatrices comme la cannelle, la noix de muscade ou le gingembre (frais, cette fois) seront bienvenues.
Des saveurs majeures
Les saisons doivent en outre s’inviter dans votre cuisine afin de mieux réguler le tout. D’autant plus subtil que l’ayurvéda a identifié non pas quatre, mais six saisons ! En été (saison pitta), on prendra des aliments ou épices rafraîchissantes qui apaisent les énergies. En hiver (saison kapha), quand tout est lent et lourd, il faudra s’alléger. Enfin, les six saveurs (rasa) sont une autre clé majeure. Car « la digestion commence dans la bouche dès que la langue capte une saveur», précise Éveline Mathelet. Les goûts doux, acide, salé, astringent, piquant et amer sont donc essentiels dans la régulation de notre chaudière interne. L’anis, par exemple, entre dans la catégorie du doux ; le fenugrec dans celle de...
l’astringent ; le curcuma ou la racine de gentiane moulue, dans la saveur amère. « Une amertume que l’on néglige beaucoup chez nous et qui fait que les toxines s’accumulent!», ajoute encore Éveline Mathelet.
Toutes les épices à la fois
Trop complexe au quotidien ? Pas sûr. « Les épices, rarement mono-saveur, servent de catalyseurs à la saveur la plus essentielle, à savoir le doux, qu’on confond trop vite avec le sucré et qu’on ne mange pas assez dans nos cultures. Il faut donc en utiliser souvent et les diversifier », explique la rigoureuse thérapeute, qui, au passage, note que dans certaines pathologies, les épices sont prises seules, hors des repas, avec divers supports comme l’eau, le lait, le miel, ou le ghee (beurre clarifié).
On peut aussi rester réaliste et sage tout en pensant équilibre de tous les doshas. Pour cela, « on mettra les six saveurs dans son assiette lors d’un seul et même repas », conseille de son côté Ariane Cohen, responsable de la Ferme de Divali, où l’on peut s’initier aux bienfaits de l’ayurvéda (www.lafermededivali.com).
Cuisiner en conscience
Enfin, on peut se souvenir que, sans les nommer doshas, nos ancêtres savaient déjà comment combiner les cinq éléments, en usant par exemple de cumin sur un fromage lourd comme le munster ou de genièvres dans une chouchoute ! De la même façon, la saveur piquante du raifort ou de l’angélique peut aussi relever un plat. Les vrais spécialistes en ayurvéda nous invitent du reste à penser écologie globale pour prendre soin de soi.
Reste toutefois que cet «ailleurs» indien possède des savoirs extraordinaires depuis la nuit des temps. Les études scientifiques dissèquent aujourd’hui ses plantes et ses épices mettant en évidence des vertus de plus en plus inouïes. Mais pour épicer ses menus, on peut aussi solliciter notre ressenti et usez d’épices en conscience, comme le suggère aussi la philosophie ayurvédique.
Saison et épices
Spécialiste de l’ayurvéda, Florence Pomana nous donne quelques règles afin d’utiliser les épices au bon moment.
Du 15 mars au 15 mai, toutes les épices sont bienvenues. Notamment le fenouil, le cumin et le carvi qui « chassent kapha de l’estomac où il s’est accumulé ».
Du 15 mai au 15 juillet, « la nature est généreuse et toutes les épices sont OK ». Comme les mélanges churna (lire page suivante).
Du 15 juillet au 15 septembre, le carvi ou l’ache (céleri sauvage) vont soutenir la digestion et lutter « contre l’accumulation de vata, autrement dit aider les sucs digestifs faibles car il n’y a plus d’eau dans le corps ».
Du15 septembre au 15 novembre, prendre des épices rafraîchissantes (fenouil, menthe) « car il fait chaud le jour, mais froid la nuit, ce qui augmente le feu digestif ».
Du 15 novembre au 15 janvier, prendre peu d’épices, sauf la moutarde.
Du 15 janvier au I5 mars, s’abstenir d’épices « car il y a beaucoup d’activités liées à la fermentation ».
Carottes aux graines de moutard - POUR 4 PERSONNES
Préparation
• 2 carottes par personne
• 1 cuillère à soupe de graines de mou-tarde noire
• 1 cm de gingembre frais
• Coriandre fraîche
• 1⁄2 cuillère à café de poudre de curcuma.
1. Laver et couper les carottes en bâtonnets. Peler et détailler le gingembre en petits cubes. Ciseler la coriandre.
2. Chauffer l’huile dans une sauteuse, déposer le gingembre et les graines de moutarde, puis les carottes 2 minutes après.
3. Saler, couvrir et laisser cuire 15 minutes maximum à feu moyen.
4. Ajouter la coriandre avant de servir.
Conseils : Les six saveurs sont quasi toutes présentes ici grâce aux carottes (doux), à la moutarde (piquant qui relance le feu sans stimuler les acidités), à la coriandre (amer qui rafraîchit), au curcuma (astringent et amer) et au sel. Pour avoir aussi un peu d’acide, servir avec une sauce salade citronnée.
Cette recette est tirée du livre « Les saveurs de l’ayurvéda », d’Ariane Cohen, éditions Almora.
Chaussons de sabera - POUR 4 PERSONNES
Préparation
• 1 rouleau de pâte feuilletée pur beurre
• 1 tomate
• 1 courgette
• 1 oignon
• 1⁄2 cuillère à café de poudre de cumin
• 1⁄2 cuillère à café de poudre de curcuma
• 1⁄2 cuillère à café de poudre de gingembre
• 1 pincée de sel.
1. Couper la tomate, la courgette et l’oignon en petits dés. Réserver séparément.
2. Verser un fond d’huile dans une sauteuse, y déposer les courgettes. Remuer.
3. Au bout de 5 minutes, ajouter les oignons, compter 5 minutes de cuisson. Ajouter la tomate, prolonger la cuisson 5 minutes.
4. Incorporer les épices en poudre, mélanger et laisser refroidir la farce.
5. Dérouler la pâte sur son papier sulfurisé. La découper en huit parts. Déposer une cuillère à café de farce vers le bord extérieur de chaque part. Replier chaque pointe en les ramenant vers le centre.
6. Placer les chaussons sur la feuille de papier sulfurisé directement sur la plaque du four et enfourner 20 minutes à 140 °C.
Conseils: On retrouve toujours ici une cohabitation entre les six saveurs en liens avec les doshas. Outre le sel, les chaussons sont préparés avec du cumin (saveur amère), du curcuma (astringent et amer) du gingembre (piquant), ainsi que des courgettes (pour le doux) et de la tomate (pour l’acide).
En cas d’allergie au blé, on peut préparer les chaussons avec une feuille de riz.
Les churnas faciles
À condition de respecter (et de connaître !) ses besoins, et aussi en s’assurant d’avoir des épices fraîches, on peut utiliser des mélanges d’épices en poudre appelés churnas.
Le churna vata équilibre vata et travaille plutôt le colon. Ingrédients : cumin, asafoetida, fenugrec, curcuma, gingembre... Saveur plutôt épicée et curry. Il peut être utile en cas de ballonnements ou de flatulences.
Le churna pitta travaille plutôt sur le foie. Il apaise l’excès de feu et d’acidité. Ingrédients : coriandre, cardamome, fenouil, cumin, gingembre, curcuma. Bon en été pour pallier les excès de pitta (chaleur) ou avec des préparations à base de tomates (acide).
Le churna kapha aura un effet bénéfique sur la rate et l’estomac. Ingrédients : coriandre, moutarde, poivre noir, curcuma et gingembre. Il donne une sensation de légèreté et est recommandé notamment pour alléger les plats riches. En cas de doute, demander conseil à un spécialiste ou « choisir ce qui fait du bien », en écoutant son corps !
Les épices indiennes validées par la science
De nombreuses études attestent les propriétés thérapeutiques des épices indiennes.
La cardamome (utilisée quotidiennement en Inde dans le thé, ou chai) est reconnue en cas de troubles digestifs divers (coliques, gastrites...) et l’huile essentielle de cardamome a des propriétés anti-inflammatoires, antispasmodiques et analgésiques.
Le fenugrec traite certains troubles digestifs et convient aux personnes anorexiques, anémiques ou déprimées. II stimule en outre les contractions utérines et la lactation... Grand tonique amer, il régularise les métabolismes.
Le curcuma et la moutarde ont des molécules aux vertus reconnues dans la lutte anticancer ou les maladies cardiovasculaires. Par ailleurs, le curcuma (qui doit se prendre avec un corps huileux) est aussi un anti-inflammatoire et il réduit l’hyperlipodémie et le diabète. Il a aussi donné de premiers résultats prometteurs contre l’Alzheimer.