Sur les pas d’Auguste de Saint-Hilaire
Il y a deux siècles, un aristocrate orléanais passionné de botanique se lançait à la découverte de la flore brésilienne. Une véritable épopée scientifique. Six années durant, Auguste de Saint-Hilaire sillonne le pays du nord au sud, décrivant et étudiant les propriétés de plus de 7000 espèces de plantes – dont de nombreuses médicinales. Les traités de ce pionnier de l’ethnobotanique permettent aujourd’hui aux Brésiliens de se réapproprier leur patrimoine végétal.
Orléans, 1802. L’officier d’artillerie Saint-Hilaire est désappointé. Son fils Augustin François César Prouvençal n’a visiblement pas le goût pour les fastes de la noblesse. Il ne s’intéresse pas non plus au droit et boude le poste d’auditeur au Conseil d’État qu’on lui propose au retour de ses études commerciales en Hollande.
Il préfère à cela la botanique, et passe son temps à herboriser dans les environs d’Orléans en compagnie de son beau-frère. Suivant son cœur, il part à Paris et assiste aux cours d’Antoine-Laurent de Jussieu, plongeant avec délices dans les théories sur la classification des végétaux. À l’aube des débats sur l’évolution des espèces végétales, Auguste de Saint Hilaire défend la classification dite « naturelle », considérant le végétal comme une chaîne immense qui commence par la plante la plus simple et se termine par la plus organisée. Lorsque l’occasion d’un voyage au Brésil se présente, il n’hésite pas une seconde : profitant du départ de L’Hermione, frégate affrétée pour mener le duc du Luxembourg à la cour du Portugal réfugiée à Rio, il n’hésite pas une seconde. En effet, le botaniste est persuadé que l’étude de la flore tropicale lui permettra de vérifier ses hypothèses sur les familles botaniques.
30 000 échantillons de plantes Il a 37 ans lorsqu’il débarque au Brésil. Il y restera six ans, parcourant la majorité du pays, du Nordeste au Rio Grande do Sul. Saint-Hilaire s’adapte immédiatement, jusqu’à considérer, dit-il, « le Brésil à l’égal de son pays ». Passionné, il dessine les végétaux, les décrit, les localise et surtout enquête sur leurs propriétés. Avec l’aide d’un chimiste, il fait l’analyse de toutes les parties de la plante, comparant les principes actifs et usages avec ceux des plantes déjà connues en Europe : il fait ainsi le rapprochement entre le quinquina (Cinchona succirubra), déjà populaire en Europe à l’époque pour avoir soigné Louis XIV de la fièvre, et une plante brésilienne aux propriétés analogues. Malgré la saveur amère de son écorce et ses propriétés fébrifuges, la quina do campo (Strychnos pseudochina) ne contient pourtant pas une once de quinine, ce fameux alcaloïde qui a fait le succès du Schweppes.
Selon le botaniste, cette plante gagnerait à être connue en Europe, car elle « pourrait se vendre moins chère que le Quinquina du Pérou et en même temps devenir pour le Brésil une nouvelle branche de commerce ». Parfois, il découvre des plantes dont l’usage semble inconnu des Brésiliens eux-mêmes : « Jusqu’ici, cette plante précieuse...
avait échappé à l’attention des Brasiliens ; mais j’ai cru devoir la leur indiquer parce qu’elle peut donner lieu par la suite à une branche de commerce fort avantageuse », écrit-il ainsi au sujet du Calyptranthes aromatica, une myrtacée dont l’odeur est très proche de celle du giroflier.
On doit au botaniste orléanais l’identification de plus de 7 000 espèces de plantes représentées par 30 000 échantillons qui sont aujourd’hui en cour de numérisation . Dans l’ouvrage Plantes usuelles des Brasiliens, il décrit précisément 70 plantes médicinales et leurs propriétés observées. La plupart de ces plantes sont aujourd’hui employées dans la medicina caseira, c’est-à-dire au sein des foyers. Au Minas Gerais, région longtemps méconnue des colons puisque loin des côtes atlantiques, ce savoir populaire s’est longtemps transmis de génération en génération, car il n’y avait pas de médecin dans la plupart des villages.
Des médicinales encore peu connues
En effet, la région des Mines générales abrite une biodiversité qui n’a rien à envier à la forêt amazonienne. Les plantes qui poussent notamment dans le Cerrado, milieu sec et aride, ont développé de remarquables stratégies pour survivre à la sécheresse, au feu ou aux prédateurs. Cette défense contre les agressions extérieures se traduit par la production de principes actifs dont peu sont encore étudiés.
Auguste de Saint-Hilaire avait déjà perçu le potentiel que cache cette région aride au sol rouge. En 1830, il invite ainsi les « hommes instruits du Brésil » à étudier les plantes médicinales pour constituer un « matériel médical brésilien ». Hélas, l’extraction de l’or, au XIXe siècle, puis l’industrie de la sidérurgie et de la cellulose, et enfin les grandes monocultures (canne, soja...) mettent à mal les sols et détruisent une grande partie de la végétation native du Minas Gerais. Les médicaments de synthèse arrivent sur le marché, les traditions orales commencent à se perdre, et on ne voit bientôt plus l’intérêt de se soigner avec des chà de ervas (infusions de plantes)... En un mot : c’est tout un patrimoine culturel et des centaines de plantes qui manquent de passer dans l’oubli. Et Auguste de Saint-Hilaire avec.
Un trésor de connaissances
Sauvé in extremis. C’était sans compter l’université fédérale du Minas Gerais (UFMG), où veille une professeure passionnée, Maria das Graças Lins Brandão. Cette femme engagée, militant pour la protection de la flore brésilienne et grande admiratrice de Saint-Hilaire, fait traduire scrupuleusement tous les traités du botaniste en portugais depuis une dizaine d’années. Coordinatrice du Centre spécialisé en plantes aromatiques médicinales et toxiques (CEPLAMT), elle constitue depuis plusieurs années une banque de données pour assurer la conservation des plantes natives brésiliennes. Dans le jardin du Centre, les plantes sont organisées par lieu d’origine, de façon à sensibiliser tous les publics à la richesse de la flore locale. Une flore au sein de laquelle on inclut souvent, à tort, des plantes européennes introduites dans le pays par les colonisateurs portugais.
À travers des ateliers pédagogiques dans les écoles du Minas Gerais, Maria das Graças tente d’expliquer aux enfants l’utilité des plantes découvertes par le botaniste. Et fin septembre, un grand symposium sur les plantes médicinales s’est tenu à Belo Horizonte, pour célébrer les 200 ans de la venue de Saint-Hilaire au Brésil. Des quatre coins de la planète, botanistes, naturalistes, chercheurs en chimie et pharmacie se sont déplacés pour rendre hommage à l’explorateur orléanais et faire avancer la recherche sur les plantes médicinales brésiliennes. C’est un pas de plus vers la sauvegarde de leur patrimoine naturel et culturel.
Il reste néanmoins beaucoup à faire, car les recherches au Brésil portent encore, à 80 %, sur les propriétés des plantes européennes ! Espérons qu’il ne faudra pas attendre 200 ans de plus pour prouver l’efficacité des « plantes utiles » décrites par Auguste de Saint-Hilaire.
Un herbier consultable en ligne
Plusieurs institutions savantes de botanique dont le Museum national d’Histoire naturelle et son équivalent portugais ainsi que l’Institut des herbiers universitaires se sont lancé comme défi de rendre disponible sur le web la collection d’herbiers de Saint-Hilaire, réalisés au Brésil, mais aussi dans sa région d’origine, l’Orléanais, et dans le Massif central. L’intérêt de la démarche est aussi de mettre en correspondance les spécimens et les notes provenant de ses carnets.
L’herbier virtuel d’Auguste de Saint-Hilaire : http://hvsh.cria.org.br/project
Le jardin des médicinales brésiliennes
Situé au cœur du Museum d’Histoire naturelle de Belo Horizonte, le Centre Spécialisé en plantes médicinales et toxiques a pour vocation de sensibiliser à la sauvegarde des plantes médicinales brésiliennes. Les bâtiments abritent une banque de graines et une salle de conférence. Son jardin est divisé en différentes platesbandes, organisant les plantes selon leur origine : dans l’une, on peut rencontrer le cacaotier, le caféier, le guarana… et d’autres plantes de la flore locale. Dans le second canteiro se trouvent toutes les plantes importées : mélisse, thym, sauge, etc. Enfin, dans la dernière platebande, on rencontre les plantes dites « succédanées », c’est-à-dire des plantes locales portant un nom de plante européenne, en raison d’une odeur ressemblante, par exemple. Ainsi, le « romarin des champs » (Baccharis dracunculifolia, une astéracée) n’a absolument rien à voir avec le romarin officinal que l’on connait en France, et qui est bien sûr une lamiacée !