Le rooibos Les secrets d’un terroir
Abusivement surnommé « thé rouge », le rooibos est un petit arbuste qui ne pousse qu’en Afrique du Sud. C’est au XXe siècle qu’un médecin afrikaner féru de botanique est parvenu à cultiver cette plante sauvage. Depuis, elle a conquis le monde grâce à l’infusion qu’on en tire, à la fois douce et antioxydante. Reportage sur sa terre d’origine, dans les paysages rocailleux du Cederberg.
De janvier à avril, la récolte du rooibos bat son plein en Afrique du Sud. Dans les montagnes du Cederberg, à 250 kilomètres au nord de Cape Town, le fynbos (une formation végétale spécifique) s’est dénudé des milliers de petites fleurs qui le recouvraient au début du printemps austral, mais reste vert. Ce biotope est d’une richesse inestimable. C’est dans ce lieu unique au monde que le rooibos (Aspalathus linearis) a élu domicile. Sans caféine ni théine, cette boisson aussi appelée « thé rouge » est riche en antioxydants, protège le foie et contribue à réduire les inflammations (relire à ce sujet : « Rooibos, le thé des calmes… et des bienportants ! »). Pourtant, la production de cette plante était marginale jusque dans les années 1930. À l’époque, on récoltait encore les feuilles sur l’arbuste sauvage, sans doute parce que la demande était surtout locale, mais aussi parce que les fermiers ne parvenaient pas à le cultiver. C’est grâce à la curiosité d’un médecin botaniste que cet arbuste a acquis une célébrité internationale méritée, suscitant même l’intérêt des scientifiques depuis les années 1960.
Une histoire rocambolesque
Pour retracer l’histoire qui a fait connaître le rooibos un peu partout dans le monde en l’espace de quelques décennies, direction Clanwilliam, principale localité de la région. Et, plus précisément, les bureaux et les hangars métalliques de la Rooibos Limited. Créée en 1954, cette entreprise familiale exerce un quasimonopole sur la transformation et la revente en gros du fameux « thé » auprès des marques mondiales. En sous-sol, une salle d’exposition présente un film sur l’histoire un peu rocambolesque de la plante.
Des feuilles écrasées au marteau
« C’est un médecin et botaniste amateur de la région, le docteur Peter le Fras Nortier, qui a découvert le secret de la germination des graines du rooibos, explique Marijke Ehlers, chargée de clientèle et des ventes de l’entreprise. La plante a une graine à coque dure, ce qui rend sa culture difficile. Dans la nature, la coquille se décompose grâce au changement de pH du sol lié aux cendres provenant des feux de brousse, fréquents dans le fynbos. Cet Afrikaner a mis au point une méthode consistant à “frotter” la coquille, ce qui a permis d’augmenter les taux de germination, et de rendre possible la culture du rooibos. » Aujourd’hui encore, cette méthode de scarification mécanique prévaut. La plupart des petits fermiers apportent d’ailleurs leurs graines à Rooibos Limited pour obtenir des semences prêtes à cultiver.
Pour récupérer ces graines, les premiers fermiers se contentaient de suivre… les fourmis ! C’est ce qu’explique le guide Chris du Plessis, qui organise des safaris dans la plantation d’Elandsberg, à 20 kilomètres...
de Clanwilliam. Cette entreprise, tenue par la famille de son épouse, est l’une des rares à concurrencer la Rooibos Limited en transformant jusqu’au bout le produit et en le revendant à l’export. « Les graines du rooibos, explique-t-il, possèdent un appendice dont raffolent les fourmis. Celles-ci les ramassent au pied des arbustes et les emportent dans leur nid. » Longtemps, les fermiers récupéraient les graines à la petite cuillère… détruisant ainsi l’habitat des insectes.
On a depuis mis au point une autre méthode, plus écologique. C’est une des sources de revenus de Lena Wilschit, une habitante de Pakhuys, une des vallées du Cederberg, à une trentaine de kilomètres en voiture de Clanwilliam. « Il faut récupérer des tas de sable autour de l’arbuste. Je les tamise une première fois sur place, puis une seconde fois en arrosant le mélange. Le sable tombe alors au fond du seau et seules les graines restent à la surface. Mon mari effectue le reste du tri à la main. » Elle les revend ensuite aux producteurs en charge de la culture.
Après scarification, les graines sont plantées dans des pépinières en février et mars. Puis, après les premières pluies, en juin-juillet, les petits arbustes sont placés dans les champs. Les feuilles en forme d’aiguilles seront coupées pour la première fois environ 18 mois après plantation, à 30, 40, voire 50 centimètres du sol. Un même arbuste, qui vit 6 ans en moyenne, sera récolté 3 à 5 fois de janvier à avril. Le rooibos subit alors le processus de transformation, c’est-à-dire d’oxydation enzymatique, qui lui donne sa couleur brique. Les indigènes de la région utilisaient déjà cette méthode. « Ils furent les premiers à récolter les plantes sauvages, à les hacher, puis à les écraser avec des marteaux, et à les laisser fermenter en tas avant de les sécher au soleil », explique-t-on chez la marque De Nortier’s. On a aujourd’hui recours au même processus, mais mécanisé.
Odeur ambree
Du fait du coût de l’outillage nécessaire pour réaliser cette opération, la plupart des fermiers revendent leurs récoltes aux grandes plantations avant transformation. Chez Rooibos Limited, les tiges de rooibos sont réparties en tas à l’extérieur et arrosées pour atteindre 60 % d’humidité. Ces tas sont ensuite aérés et écrasés par un tracteur spécialement conçu. « Cette action, combinée à l’humidité et à la chaleur, déclenche le processus d’oxydation », poursuit la responsable des ventes. Devenu rouge, le rooibos est étalé sur le sol, aéré et séché au soleil. Il est ensuite testé en laboratoire pour savoir si le taux d’oxydation souhaité est atteint. Néanmoins, il existe également un rooibos vert, qui ne subit pas d’oxydation. Son pouvoir antioxydant et anti-cancérigène serait plus intéressant que celui de son homologue rouge.
Retour à la plantation d’Elandsberg pour comprendre la phase de tri et d’emballage. L’odeur ambrée du rooibos plane encore dans l’air chaud et sec du hangar, occupé par de grands cylindres. Les feuilles oxydées passent de l’un à l’autre pour subir une série de tamis pour ôter les petits morceaux de bois et la poussière fine. Les fragments de feuille sont triés selon leur taille, puis traités à la vapeur et mélangés en fonction des recettes. Ce qui est inexploitable pour la boisson sera transformé en huile pour la fabrication de cosmétiques. Enfin, le produit est mis en sac pour la distribution nationale et l’exportation. Aujourd’hui, les Sud-Africains dégustent cette boisson comme n’importe quel thé et la demande locale s’élève à 8 000 tonnes sur une production totale de 14 000 tonnes selon le Rooibos Council, l’organisme local qui promeut le produit. Quelque 6 000 tonnes s’exportent dans plus de 30 pays, Allemagne, Pays-Bas, Japon, Royaume-Uni et États-Unis en tête.
Seulement en Afrique du Sud
Certains pays s’y sont essayés, mais sans succès. Le rooibos ne se plaît que dans les terres rocailleuses des montagnes sud-africaines du Cederberg. « L’arbuste nécessite un sol sablonneux bien drainé, avec un pH légèrement acide, et se développe entre 300 et 600 mètres au-dessus du niveau de la mer », explique Marijke Ehlers, de la Rooibos Limited. C’est une plante robuste, qui a tendance à prospérer dans un climat chaud et sec. Les précipitations annuelles pour la région représentent entre 180 et 500 mm, et la température moyenne varie entre 0 °C en hiver et 48 °C en été. Si le rooibos puise l’eau profondément dans le sol grâce à des racines pivotantes qui peuvent atteindre trois mètres de long, le stress causé par plusieurs mois de sécheresse joue aussi un rôle important pour que les flavonoïdes qu’il contient se développent. Mais le rooibos est également le fruit des relations symbiotiques qui unissent les plantes et organismes indigènes présents dans le fynbos, son biotope d’origine. Une zone très particulière qui représente, avec ses 9 000 espèces de plantes, un réservoir de biodiversité exceptionnel.
Les signes de la qualité
Plusieurs facteurs influent sur la qualité gustative du rooibos : le lieu de plantation, le moment de la récolte et le processus d’oxydation. Pour le consommateur, difficile de faire la différence au moment de l’achat. Voici quelques astuces pour identifier un rooibos de qualité. Un bon produit ne contiendra pas de résidu de poudre récupéré quand le produit est tamisé. Certaines marques peuvent en ajouter à un rooibos de qualité inférieure pour en rehausser le goût. Méfiance, donc, si un léger dépôt rougeâtre apparaît au fond du paquet. Autre manière de contrôler la qualité de son « thé » : examiner sa couleur et son aspect. « Il doit être homogène, rougebrun, et presque sans parties blanches ou jaunes. » Le thé doit également avoir un léger éclat, et non pas une apparence terne et sèche. « Le rooibos de haute qualité s’infuse également plus rapidement que les autres », souligne encore Sanet Stander, gérante de la Maison du Rooibos de Clanwilliam. La qualité n’importe pas seulement pour des questions de saveur : elle signifie aussi une plus forte teneur en composés phénoliques et donc en antioxydants, comme l’ont montré des études récentes.