Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

Joyaux floraux en vallée de Crévoux

vallée de Crévoux

Après un hiver long, l’été prend ses quartiers en montagne, ce qui donne lieu à une véritable explosion de couleurs, plantes et fleurs jouant la montre avant l’automne. Nous vous emmenons au pied du parc naturel des Écrins, dans les Hautes-Alpes, un cadre majestueux pour découvrir les plantes médicinales d’altitude connues pour parfumer de nombreuses liqueurs «vulnéraires».

Le sentier commence par emprunter de belles prairies entrecoupées de pierriers et de petits ruisseaux. Nous sommes encore en moyenne montagne, à 1600 mètres d’altitude, et les pentes ne sont pas encore trop raides. Dans cette zone plutôt sèche, on peut observer l’absinthe (Artemisia absinthium L.), qui donna son nom à la fameuse liqueur, rebaptisée la Fée verte. Marquons une courte pause pour un peu d’histoire. Quand il fut interdit en 1915, cet alcool à 70° était plus consommé que le vin et sa production atteignait 360 000 hectolitres, soit en moyenne trois litres par habitant et par an. Une consommation qui entraînait fréquemment des délires, des hallucinations, un état d’hébétement... Les médecins nommèrent ces affections « absinthisme ». Cette atteinte du système nerveux s’explique par la présence de thuyone dans la plante, dont la concentration avait beaucoup augmenté suite à sa mise en culture en plaine, terre plus riche que celle des prairies sèches de montagne où elle pousse naturellement. Aujourd’hui, l’absinthe est à nouveau autorisée, car on sait produire des liqueurs à très faible taux de thuyone. Mais comme de nombreuses plantes dédiées à la liquoristerie, l’absinthe est aussi une plante médicinale. La thuyone n’étant que très peu soluble dans l’eau, l’infusion d’absinthe ne présente pas de risque. La boisson est amère (goûtez un petit bout de feuille pour vous rendre compte), ce qui en fait un bon tonique, stimulant le foie et la digestion.


Remède divin


En poursuivant notre balade en lisière des bois, on découvre une plante élégante capable de former de larges colonies : l’épilobe à feuilles étroites (Epilobium angustifolium L.). Bientôt, le sentier surplombe un petit torrent qui mène à une cascade, où la végétation luxuriante contraste avec celle des prairies sèches. C’est dans cette ambiance qu’on peut trouver une ombellifère de grande taille, l’impératoire ...

(Imperatoria ostru- thium L.). Cette plante est considérée comme une panacée dans les Alpes du Nord. Sa coriace racine était jadis brûlée sur des charbons de bois pour en faire de la poudre, qu’on appe- lait Divinum remedium (remède divin), car elle purifiait le corps et chassait les mauvais esprits. L’impératoire est aussi employée comme digestif et tonique en cas de digestions difficiles ou de fatigue. C’est encore un bon expectorant qui combat la toux et fortifie l’organisme.Attention, comme beaucoup d’Apiaceae, elle est emménagogue à forte dose (stimule le flux sanguin dans la région pelvienne et l’utérus). Elle est donc contre-indiquée chez la femme enceinte Une fois la cascade passée, un tapis de prairies multicolores jonchées de fleurs s’offre au regard du promeneur. Symbole des plantes médicinales de montagne, l’arnica (Arnica montana) y est abondante. Ses fleurs orangées soignent les traumatismes sans plaies, car la plante est toxique par voie générale et sanguine. Mais l’engouement pour la fabrication de crèmes ou de préparations homéopathiques la met en danger. Dans les Hautes-Alpes, la cueillette est limitée à une petite poignée, et il faut prendre soin de ne pas arracher les racines.


Le long du ruisseau, de nombreux suintements font le lit des zones tourbeuses très riches, reconnaissables par la présence de linaigrettes aux têtes semblables à de petites boules de coton. À noter que ces milieux sont très fragiles et ne supportent pas le piétinement. Dans cet environnement pousse une étrange plante aux feuilles gluantes, la grassette commune (Pinguicula vulgaris), une carnivore qui capture les insectes avec ses feuilles collantes. Elle a été employée comme le droséra, une autre plante carnivore, dans le traitement de la toux, de la coqueluche et de l’asthme, puis est tombée dans l’oubli. Une bonne chose, car elle ne pourrait pas supporter des cueillettes importantes. Ces zones humides accueillent aussi la forme sauvage de la ciboulette (Allium schoenoprasum). De quoi agrémenter son pique-nique !


Audacieuse rencontre avec le génépi


La montée vers le lac se poursuit, laissant la place à d’autres espèces. La plus majestueuse est sans doute la grande gentiane (Gentiana lutea), dont la racine est apéritive, tonique et stimule l’humeur. Mais c’est surtout en liquoristerie qu’elle se démarque. Pour éviter son pillage, sa récolte à des fins commerciales est interdite dans les Hautes-Alpes.


Tout en progressant vers le lac, explorez les pentes alentour, qui abritent des plantes typiques des hautes montagnes, comme la pensée du MontCenis (Viola cenisia) ou les saxifrages. C’est aussi là qu’on rencontre le génépi jaune (Artemisia umbelliformis) et le génépi des glaciers (Artemisia glacialis), des plantes aromatiques très prisées pour confectionner des liqueurs. Leurs propriétés médicinales sont identifiées par la pharmacopée alpine (tonique, digestif et fébrifuge) mais peu utilisées du fait de leur rareté. Elles poussent dans des endroits très difficiles d’accès, au point que même leur cueillette est symbole de force et de courage. Le dicton alpin nous rappelle en outre qu’elles étaient considérées comme aphrodisiaques : « Le génépi fait du bien à madame quand monsieur en boit.» Tous les génépis sont menacés pas la cueillette et certaines zones en sont aujourd’hui dépourvues. Heureusement, des cultures existent en haute altitude pour les préserver.


Ainsi prend fin cette balade, ponctuée de nombreux arrêts, tant la nature ici est pro- digue... Et si vous souhaitez guetter son reflet dans l’eau, n’hésitez pas à marcher jusqu’au lac du Crachet, à quelques encablures de là.

 

Itinéraire

Le départ se fait à Crévoux (près d’Embrun), après le hameau de la Chalp (parking après les dernières maisons). Un sentier est accessible en direction du lac du Crachet. Le retour s’effectue par le même chemin avec une vue magnifique sur la vallée. L’itinéraire est bien balisé et sans difficulté (450 mètres de dénivelé, 600 jusqu’au lac), praticable en famille. Comptez environ 4 heures de marche. Pensez à prendre en compte la météo, souvent changeante en montagne.

 

Des plantes menacées

Cet itinéraire permet d’observer de nombreuses plantes remarquables ou rares. Dans les prairies et le long du ruisseau, on peut rencontrer l’ancolie des Alpes (Aquilegia alpina), la dauphinelle douteuse (Delphinium dubium), avec ces grandes hampes de fleurs d’un bleu lumineux, ou encore la swertie pérenne (Swertia perennis). Ces espèces sont localement menacées par le pâturage intensif, mais aussi parce qu’elles sont cueillies pour leurs qualités esthétiques.

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