Mystères et symbolique des plantes bibliques
Témoins d’une période historique ou supports d’allégories religieuses, les plantes sont très présentes dans les récits fondateurs du christianisme. Dans un livre récent, Florence et Marie-José Thinard mènent l’enquête sur leur symbolique. Suivons-les dans cette balade botanico-historique.
Des rives du Nil à celles de la mer Morte, de l’Égypte aux royaumes de Judée et d’Israël, les textes bibliques nous parlent d’un temps reculé où les travaux agricoles rythmaient la vie des populations et où les plantes occupaient une place centrale dans leurs imaginaires. L’analyse des textes révèle que la datte, l’olive et la grenade sont par exemple les fruits et légumes les plus cités dans la Bible. Ces végétaux serviront par la suite de supports allégoriques pour édicter des règles morales ou sociales des croyants : « Les paraboles bibliques sont nourries de semeurs, de moissons, de vignobles, d’arbres et de graines, de fleurs, de fruits et de ronces...», nous rappellent Florence et Marie-José Thinard, respectivement documentariste et linguiste, et auteurs du livre « Dans les jardins de la Bible ». Reste qu’il n’est pas toujours évident de démêler le vrai du faux, l’histoire du mythe. Les écrits bibliques couvrent en effet une période historique très large, des fragments de la Torah initiés dès le XVe siècle avant J.-C. au Nouveau Testament, rédigé pour l’essentiel dans le courant du Ier siècle de notre ère. Durant cette longue période historique, les écosystèmes eux-mêmes ont beaucoup changé du fait de l’activité humaine. La force évocatrice du jardin d’Éden – que les chercheurs s’accordent à situer près de l’Irak actuel – ne vient-elle pas alors précisément de la désignation d’un « avant » idéalisé, luxuriant et intact ? Les deux auteurs rappellent à juste titre que la déforestation à grande échelle a commencé vers 2000 avant J.-C., résineux et maquis cédant alors la place aux oliveraies.
Huile d’olive et odeur de sainteté
Se fondant sur les textes décrivant la construction du temple de Jérusalem par le roi Salomon, les historiens estiment que ce dernier possédait alors jusqu’à 240000 oliviers, soit 2 015 hectares d’oliveraies. On comprend dès lors l’importance de l’arbre dans les récits bibliques. Arbre de l’Esprit incarnant Israël, témoin muet de la dernière nuit de Jésus qui se recueille au mont des Oliviers, l’huile de ses fruits entre également dans la composition...
de l’onction sainte. Associée à la myrrhe, au cinnamome aromatique (cannelier) ou au roseau aromatique, elle dégagera cette fameuse odeur de sainteté émanant du sanctuaire, des grands prêtres ou des rois.
Le figuier, arbre originel ?
Autre difficulté, les écrits bibliques sont le résultat de transmissions orales, de traduction entre l’araméen, l’hébreu, le grec, le latin puis les langues profanes européennes, chacune apportant à la fois son empreinte et sa part d’ombre pour qui chercherait à exhumer la « vérité » des textes. Certaines énigmes semblent bien avoir été percées grâce à des disciplines aussi variées que l’agro-archéologie, la génétique, l’étude des pollens, l’ethnologie ou l’histoire des langues, venues ici en renfort des sciences botaniques pour parfois défaire les erreurs d’interprétation véhiculées par l’imagerie chrétienne. Par exemple, le fruit défendu n’est ainsi pas celui que l’on croit, et ce sont bien des feuilles de figuier et non de vignes qu’Adam et Ève utilisèrent pour couvrir leur nudité. Rien d’étonnant, puisqu’on pense, grâce aux analyses ADN, que le figuier pourrait être «l’arbre premier », son exploitation dans la vallée du Jourdain remontant à près de 9 000 ans, soit 1 000 ans avant la domestication de nos céréales.
Mais d’autres énigmes demeurent. La nature du Buisson ardent ou l’espèce exacte de l’Arbre de vie résistent à la quête des botanistes contemporains. Le gopher, bois dans lequel Dieu ordonne à Noé de construire son arche, était-il en réalité du cyprès, comme l’affirment certains chercheurs, du cèdre ou du pin, comme le pensent d’autres ? La plante «poussant sur les murs» que le Lévitique recommande pour soigner la lèpre ou la teigne, qui accable les Hébreux lors de leur longue errance, et que la Bible appelle « hysope », n’est pas en toute probabilité l’hysope officinale. Cette dernière n’a en effet jamais poussé au Proche-Orient... Mais alors, « quelle hysope ? Le câprier à fleurs odorantes ? Le thym ? La sauge ? Aujourd’hui, la plupart des chercheurs penchent pour l’origan de Syrie (Origanum syriacum), pour sa concentration en thymol et sa longue histoire médicinale, mais aussi parce qu’il est toujours employé lors du rituel pascal par les très conservateurs samaritains », concluent Florence et Marie-José Thinard.
Parmi les références bibliques au végétal, certaines sont bien sûr passées dans le langage courant. Pourtant, si quelques personnes savent que l’expression « séparer le bon grain de l’ivraie » est issue d’une parabole de l’Évangile de Matthieu, un grand nombre ignore qu’il s’agit d’une graminée neurotoxique qui, générant la crainte dans les campagnes, sera aussi à l’origine de l’expression « semer la zizanie ». Ainsi, cette plongée dans le monde des plantes de la Bible nous familiarise avec l’univers mental de nos anciens et avec leurs croyances fondamentales. Elle nous éclaire enfin sur un substrat culturel commun dont nous sommes les héritiers, et qui continue de nourrir notre vision du monde.
Un pays de vignes
De vignes, vignerons ou vins, on trouve plus de 350 mentions dans la Bible. De culture déjà ancienne en Mésopotamie et en Égypte, les Hébreux consommaient le vin doux, mêlé de résine, de miel et d’épices. S’il « réjouit Dieu et les hommes » il n’en est pas moins dangereux, « perfide » et « arrogant ». Noé, qui plante de la vigne dès la fin du déluge, en fait les frais : humilié d’être surpris ivre et nu, il jette une malédiction sur son fils qui se propagera à sa descendance. Dans plusieurs livres sacrés, on s’attarde assez prosaïquement sur les techniques de culture elles-mêmes : « Pendant six années, tu tailleras ta vigne ; et tu en recueilleras le produit. Mais la septième année sera un sabbat, un temps de repos pour la terre », dit le Lévitique. Le vin trouve également sa place au centre de paraboles importantes du christianisme pour, par exemple, devenir le « sang de l’alliance » au cœur de l’Eucharistie.
Ceci n’est pas une pomme
Associé dans l’imaginaire de nos contemporains à la tentation, à la ruse du serpent et à la faiblesse d’Adam et Ève qui ont eu le tort de le goûter malgré l’interdiction divine, le fruit défendu du jardin d’Éden reste encore aujourd’hui une énigme historique. Malgré les innombrables représentations picturales d’Ève tenant une pomme, il n’est question dans le texte hébreu de la Genèse que de periy (fruit), pas de tappouah (pomme). Selon les historiens, la pomme ne fait son apparition qu’au IVe siècle dans la Vulgate, la version traduite en latin populaire par saint Jérôme. Le fruit du péché originel, d’après les spécialistes du Talmud, serait en effet plutôt la figue, le cédrat ou la vigne.