Le melon, une histoire de gourmet
Incontournable des repas estivaux, le melon avait déjà une place de choix sur les tables d’offrande de l’Égypte ancienne. Objet de beaucoup d’éloges et de quelques critiques, il a conquis les papilles des plus fins gourmets à toutes les époques.
Le melon avant le repas nettoie le corps et chasse la maladie. Ainsi parlait le prophète Mahomet qui consommait le fruit, semble-t-il, accompagné de dattes fraîches. À l’époque de Charlemagne, le moine Walafrid Strabus le décrit en ces termes : c’est un délice, dont la couleur et la saveur charment la faim du convive, un mets qui n’offusque pas les dents mais qui se laisse manger facilement et, par ses qualités naturelles, entretient la fraîcheur des viscères. Le poète du XVIIe siècle Saint-Amant chantait même ses louanges dans un long poème enflammé dont voici un extrait: «Ce morceau me chatouille l’âme Il rend une douce liqueur Qui va me confire le cœur» L’origine de cette cucurbitacée n’est toujours pas certaine. D’aucuns le disent natif de l’Inde, d’autres d’Afrique. Une chose est certaine, il était déjà cultivé par les Égyptiens anciens il y a 2 500 ans. On parle de lui dans la Bible. Lors de leur traversée du désert durant l’Exode, les Hébreux se réjouirent de trouver sur leur route les melons salvateurs d’Égypte, qui calmèrent à la fois leur faim et leur soif. Les Romains le cultivaient et certains lui vouaient une passion sans bornes. On raconte que l’empereur romain Clodius Albinus dévora huit gros melons d’Ostie pour son souper. Les variétés étaient différentes de nos melons actuels, sûrement moins sucrées et de formes variées.
Du melon au vinaigre
Le fruit figure dans le célèbre livre de cuisine romaine d’Apicius, L’art culinaire. Ses pages proposent des recettes pour accommoder pastèques et melons: principalement en salade avec du poivre, de la menthe pouliot et un mélange de vinaigre, de bouillon et d’herbes. Cette recette se rapproche de celle d’Anthimus, un médecin grec qui officiait à la cour du roi des Ostrogoths, Théodoric le...
Grand, au VIe siècle. Anthimus conseillait de consommer les melons bien mûrs, de mélanger la chair et les graines assaisonnées de vinaigre et de menthe pouliot. Si cette manière d’accommoder le fruit est rare en France, elle est encore commune en Grèce où l’on sert la pastèque en salade avec du fromage feta, du vinaigre et de la menthe. Au Moyen Âge, la consommation des légumes et fruits qui poussaient près de la terre était laissée aux classes pauvres tandis que les seigneurs se réservaient les mets « élevés » tels que la viande, les oiseaux en particulier. Ainsi se méfiait-on des melons et les médecins recommandaient la plus grande prudence.
Le melon à la table des puissants
C’est seulement à la fin du XVe siècle que le melon au goût sucré et subtil que nous connaissons aujourd’hui est arrivé en Italie depuis l’Arménie. Il a ensuite conquis le reste de l’Europe. La haute société de la Renaissance fait la part belle au melon lors de ses fastueux repas. On le sert à la table du Vatican dans une soupe : le melon se mêle au beurre, bouillon de poulet, parmesan, safran et cannelle. On met cependant en garde contre une consommation excessive de ce fruit. Certains se plaignent de sa tendance à causer des gaz intestinaux intempestifs et des coliques. Pire, le savant du XVIe siècle Jean-Baptiste La Bruyère-Champier le croit impliqué dans les épidémies de choléra. Le melon est soupçonné d’avoir causé la mort du pape Paul II, décédé subitement dans la nuit après un repas composé de deux gros melons.
Le fruit a agrémenté la table des puissants durant des siècles, mais restera largement inconnu du grand public européen jusqu’au XVIIIe siècle. En France, il demeure longtemps un fruit rare dont la culture demande le plus grand soin. Un jardinier virtuose va jouer un rôle majeur dans l’acclimatation et l’invention de techniques de culture : Jean-Baptiste de la Quintinie, jardinier de Louis XIV, qui crée le Potager du Roy à Versailles en 1670.
Friand de melons, Louis XIV souhaitait en déguster le plus tôt et le plus tard possible dans la saison. La Quintinie, expert dans la culture des figues et des pêches malgré le climat peu favorable de Versailles, mit toute son ingéniosité au service de la cucurbitacée. Il inventa notamment la cloche de verre dont il recouvrait les melons pour les protéger du froid et optimiser la chaleur du soleil. On utilise toujours cette technique aujourd’hui. Cultiver puis choisir un bon melon reste une gageure. À la Renaissance déjà, on se plaignait de la difficulté de faire pousser un bon melon. Une erreur dans le choix des graines ou un mauvais ensoleillement pouvait conduire à une récolte au goût insipide. Aujourd’hui, malgré les améliorations variétales, l’inconstance du melon fait soupirer les jardiniers et les gourmands. Le fruit suscite encore doute et questionnement. Celui ou celle capable de choisir le meilleur semble doté d’un don qu’on lui envie. Et vous, quelle est votre astuce pour déguster à coup sûr le plus exquis des melons ?
Un choix difficile
Les melons ne sont pas tous bons. Comment choisir le meilleur et s’assurer de sa maturité ? Voici l’avis de deux anciens spécialistes très en verve sur le sujet.
L’avis du botaniste et poète italien Castore Durante (1529-1590)
« On doit le choisir oblong, couvert d’aspérités comme la peau d’un lépreux. Divisé profondément en quartiers égaux, d’une couleur jaune safran, lourd comme une pierre et assez dur pour que le pouce ne puisse s’y enfoncer, qu’il dégage, lorsqu’on le flaire, une odeur de cannelle. Et qu’il ne sonne pas le creux lorsque des deux mains on le lance en l’air. »
L’avis de Jean-Baptiste de la Quintinie (1626-1688)
« Après avoir approuvé leur couleur, leur queue et leur belle figure, avoir examiné leur pesanteur, il n’est pas inutile de les flairer avant de les entamer, pour pouvoir juger plus certainement de leur maturité que de leur bonté. Sûrement ceux qui sentent le mieux ne sont pas d’ordinaire les meilleurs ! »
Mon œuvre pour un melon !
En 1864, Alexandre Dumas reçoit une lettre de la bibliothèque de Cavaillon, dans le Vaucluse, qui souhaite recevoir gracieusement quelques ouvrages de l’auteur pour enrichir sa collection. L’auteur répond positivement à la requête et promet d’envoyer l’intégralité de son œuvre, pas moins de 400 volumes. Mais il ajoute une condition : « Si la ville de Cavaillon estime mes livres, j’aime fort ses melons. Je désire qu’en échange de mes volumes il me soit constitué, par arrêté municipal, une rente viagère de douze melons par an. » La ville accepte et Dumas recevra un melon par mois jusqu’à sa mort en 1870.