Propolis, questions réglementaires et écologiques
Au moment où la propolis devient un produit de consommation courante et où les recherches s’amplifient sur son potentiel thérapeutique, des questions réglementaires et écologiques se posent pour soutenir ce secteur situé au carrefour du vivant.
De produit plutôt confidentiel il y a encore peu, la propolis a connu un boom sans précédent ces dernières années au point qu’on la trouve maintenant quasiment dans toutes les pharmacies et dans des gammes de plus en plus étendues et élaborées de produits : pastilles, spray buccaux ou nasaux, bains de bouche, dentifrice, shampoing, crèmes, en poudre, à mâcher, liquide, huileuse... La propolis prend aujourd’hui toutes les formes et pour des usages toujours plus variés. « Ça fait maintenant dix ans qu’on parle vraiment de la propolis et de ses vertus multiples pour la santé. Ce produit, surtout utilisé pour les maux de gorge et les soins de la bouche, est devenu beaucoup plus généraliste pour la santé car les recherches se sont multipliées», nous confirme Patrice Percie du Sert, pionnier français du développement des produits de la ruche. Le paradoxe de cette démocratisation de la propolis est qu’on commence à peine à en percer tous les mystères : sa complexité moléculaire, sa variabilité selon les provenances ou les modes de préparation, sans parler de ses vertus santé, sont toutes l’objet de recherches. Au moment où celles-ci montrent la polyvalence thérapeutique de la propolis, l’apiculture française traverse une crise difficile et la standardisation de la propolis en est à ses balbutiements. C’est le moment de faire le point.
Un vaste champ d’action thérapeutique
La production de propolis résulte de la récolte sélective par les abeilles de résines de différentes plantes et de différentes parties (bourgeons, feuilles, jeunes rameaux, troncs) présents dans l’environnement de la ruche. Mine de polyphénols peu assimilables par l’humain en l’état, les abeilles nous mâchent ensuite le travail en mastiquant et enrichissant d’enzymes salivaires cette résine qui deviendra la propolis brute. Matière collante et multifonction, elle sert à protéger la ruche des insectes, à la réparer, à l’isoler et à prévenir le développement microbien sur ses parois.
Les propriétés les plus reconnues de la propolis à ce jour sont ses vertus antimicrobienne et antifongique, antivirale, stimulante immunitaire, anti-inflammatoire et antioxydante. Depuis quelques années, d’autres vertus de la propolis ont émergé. Son intérêt dans la lutte contre le cancer est désormais bien documenté. Très récemment, des études animales ont mis à jour d’autres pistes. Certaines montrent qu’elle ne protège pas seule- ment les cellules contre les effets secondaires des chimiothérapies mais également contre ceux de l’intoxication au mercure. La propolis aiderait également à éliminer les métaux lourds en travaillant de concert avec une enzyme spécifique du foie. Une autre, plus surprenante, témoigne d’une activité anxiolytique et antidépressive sur le système nerveux, probablement en lien avec la dimension antioxydante de la substance. Bref, toute la lumière n’a pas été faite sur ses propriétés. Une des raisons tient à l’extraordinaire diversité des propolis et de leur composition.
En effet, la composition des propolis, et donc leurs vertus thérapeutiques, varie significativement selon la diversité botanique des plantes butinées autour de la ruche et donc les zones du globe où elle est produite. C’est en particulier leur composition en polyphénols, composés phénoliques et aromatiques qui déterminera son pro l...
moléculaire, sorte de signature de tout un écosystème local. Aujourd’hui on étudie et compare ainsi les compositions des propolis du Portugal, d’Italie, de Chine, de Cuba, d’Uruguay, du Cameroun. Mais un pays d’origine ne suffit pas à qualifier une propolis. Ce travail, entamé il y a plusieurs années en aromathérapie par exemple avec la notion de chémotype, commence tout juste sur les propolis. Les spécialistes ont maintenant identifié trois grandes familles de propolis en fonction de leur composition : la brune, la verte et la rouge. La brune est la plus commune en France et dans les zones tempérées en général (Amérique du Nord, Europe continentale). Avec plus de 300 molécules actives identifiées, cette propolis possède un spectre très large et équilibré de polyphénols différents (pinocembrine, galangine, quercétine, chrysine), ce qui lui donne une grande polyvalence.
Propolis verte, propolis rouge
Plus récemment, la propolis verte a fait son apparition, mais le consommateur la connaît moins. Elle nous vient principalement du Brésil, en particulier des régions du Parana et du Minas Gerais, même si le pays n’en a pas l’exclusivité. Si elle partage les propriétés antibactériennes, antivirales, antioxydantes et anti-inflammatoires de sa cousine brune, son profil chimique fait ressortir une forte concentration d’artepilline C, substance particulièrement antitumorale, ce qui lui vaut d’être très demandée au Japon où nombre de recherches sur le sujet ont été menées. Quant à la propolis rouge, les études à son sujet sont récentes. On ne commence à connaître sa composition chimique qu’en 2004, et son origine biologique en 2012. Sa production mondiale (Venezuela et Mexique) est encore confidentielle comparée à ses cousines (ce qui explique son prix supérieur). Elle provient de la résine rouge que produit le tronc de Dalbergia ecastaphyllum en réponse à l’attaque des coléoptères. Son profil chimique se distingue notamment par la formononétine, un phytoestrogène. Elle est donc aussi particulièrement intéressante pour la ménopause et en prévention de l’ostéoporose.
... plus ou moins contrôlées
La propolis relève aujourd’hui en France du statut de complément alimentaire et les études thérapeutiques sur l’humain sont encore peu nombreuses. De cela découle l’impossibilité de mettre en avant des allégations de santé, même aussi simples que les maux de gorges, sauf s’ils sont associés à d’autres éléments aux vertus reconnues par l’Union européenne. C’est pour cette raison qu’on voit apparaître des produits dans lesquels la propolis côtoie d’autres plantes, vitamines ou minéraux. D’autre part, le flou législatif n’oblige à préciser ni le type de propolis en question ni son origine, ni sa concentration en principes actifs. Chaque laboratoire ou marque a sa méthode et fait comme bon lui semble. Dans ce ou inconfortable pour le consommateur, certains acteurs historiques du secteur font des choix pour se démarquer : mise avant de techniques d’extraction particulières ou brevetées (Aagaard, Propolia, Aristée), des lieux de provenance (France exclusivement pour Propolia) ou une teneur garantie en polyphénols et une qualification des types de propolis (Aristée).
La question des pesticides
Il est également possible aujourd’hui de trouver de la propolis bio chez certaines marques, bien que sa production soit pour le moment limitée et ne permette pas de répondre à une demande croissante pour cette nouvelle star de la ruche. Bien qu’il existe aujourd’hui, sous la forme d’huiles essentielles de pyrèthre ou de préparations homéopathiques, des traitements naturels contre le varroa, un parasite des ruches, la tentation est grande pour des apiculteurs en difficulté d’utiliser des répulsifs chimiques.
Bien qu’en théorie ces derniers n’impactent pas la propolis, des possibilités de contamination, par des produits phytosanitaires par le biais de la cire présente avec la propolis de grattage, obligent les marques exigeantes à évaluer leur présence dans les lots de propolis. Mais comment attendre de tous les apiculteurs des pratiques exemplaires lorsque les pouvoirs publics traînent pour encadrer juridiquement l’utilisation de produits phytosanitaires dangereux dans l’agriculture, c’est- à-dire dans l’environnement immédiat des ruches ? La réponse semble ici surtout politique pour en n s’intéresser au sort des abeilles, ces «sentinelles de l’environnement». Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment charnière. Si les découvertes scientifiques convergentes montrent son énorme potentiel thérapeutique, le cadre réglementaire et les questions environnementales freinent le développement de tout un secteur artisanal fragilisé. Celui-ci mériterait pourtant d’être mieux soutenu pour des raisons aussi bien sanitaires qu’économiques et écologiques.
Polyvalence anticancer
Une récente méta-analyse confirme l’intérêt de la propolis dans les cancers du cerveau, de la peau, du sein, du foie, des reins, du pancréas, de la prostate, du colon, mais aussi dans les leucémies. Elle accroît l’autodestruction des cellules cancéreuses (apoptose), prévient les métastases, ralentit la vascularisation des tumeurs (angiogenèse) et protège les autres cellules et organes du corps ainsi que la formule sanguine contre les effets nocifs des chimiothérapies. Cette polyvalence s’explique par ses composés (acide caféique, chrysine, artepilline C, galangine, cardanol). Mais leur concentration variant selon les produits, les posologies sont difficiles à définir. Certains spécialistes proposent dans l’accompagnement des chimiothérapies 6 gélules par jour, avec deux tiers de propolis brune et un tiers de propolis verte.
Source : « Emerging Adjuvant Therapy for Cancer : Propolis and its Constituents », Journal of Dietary Supplements, fév 2016
Transformation
La propolis brute, dite « de raclage », est celle qui est grattée sur le bord des rayons. Elle est composée de résine et de baumes (50 à 55 %), de cire (30 à 40 %), d’huiles essentielles ou volatiles et de matières minérales et organiques aussi diverses que sable, fibres végétales ou même morceaux d’insectes morts. Elle nécessite donc un travail de purification et d’extraction, le plus souvent par l’alcool, puis éventuellement de transformation sous forme de poudre. La propolis sous forme huileuse implique quant à elle l’utilisation de propylène glycol pour en extraire des principes actifs peu liposolubles. Certains producteurs récoltent la propolis sur grille pour être plus à même de préciser l’origine végétale des propolis.
Nouveau débouché pour l’apiculture française ?
L’apiculture française connaît, on le sait depuis quelques années, des difficultés. Contrairement à la production de miel, très dépendante des aléas météorologiques, la récolte de propolis est peu affectée car elle peut compter sur des périodes de oraison longues. Malgré une très petite production par ruche (environ 300 à 500 grammes par an), la propolis est néanmoins un produit à haute valeur ajoutée (environ 200 euros le kilo) qui pourrait offrir des débouchés intéressants pour une filière fragilisée. Les secteurs des compléments alimentaires et de la cosmétique s’y intéressent, mais également l’agroalimentaire et l’élevage, qui y voient un potentiel pour de nouveaux conservateurs ou produits vétérinaires plus naturels et aux vertus thérapeutiques. L’Union nationale de l’apiculture française constate un engouement chez ses adhérents mais a du mal à quanti er le phénomène. Les grandes marques françaises dépendent toutes de réseaux de petits apiculteurs (parfois même amateurs). Elles arrivent pour l’instant à répondre à la demande et parfois même à exporter de la propolis made in France.