Le Cambodge au fil du lotus
Dans la tige de cette fleur aquatique d’une extrême finesse se niche une fibre avec laquelle on peut produire un tissu unique au monde. Une technique qui permet d’explorer tout le potentiel de cette plante, très répandue au Cambodge.
On connaissait la soie, le lin ou le chanvre, mais nul n’aurait pu imaginer qu’il était possible de transformer le délicat lotus en étoffe. Et encore moins les Cambodgiens, alors que la plante fait ici partie de la vie quotidienne. Le Nelumbo nucifera, corolle rose pâle à fuchsia, pousse aussi bien immergé dans les lacs que dans des eaux peu profondes et boueuses des champs. Dans la paisible ville touristique de Siem Reap, au nord du Cambodge, les paysans cultivent cette plante depuis toujours, souvent en plus d’une rizière ou d’une parcelle de légumes. Et les fleurs de lotus sont toujours utilisées comme offrandes lors des cérémonies religieuses ou funéraires.
Depuis 2013, l’atelier d’écotextile La Ferme du lotus a développé un savoir-faire unique en valorisant les tiges de lotus qu’elle achète aux producteurs locaux. Sur la terrasse ouverte d’une maison de bois, une dizaine de fileuses les entaillent, les cassent, et étalent sur une table de bois humide le précieux produit, semblable à...
; des fils de toile d’araignée. Une tige contient une cinquantaine de fibres d’un micron de diamètre. Roulées sur elles-mêmes en plusieurs couches, elles forment un fil qui, glissé dans un antique métier à tisser, produit un tissu pareil au lin, en plus épais, mais pourtant léger et exceptionnellement imperméable, anti-froissant et anti-tachant grâce aux propriétés hydrophobes des feuilles du lotus. Avec leurs aspérités microscopiques recouvertes de cire, elles permettent à l’eau de faire glisser poussières et salissures. Une particularité ayant fait de cette fleur un symbole de pureté dans l’hindouisme et le bouddhisme partout en Asie.
Une invitation à la méditation
Importée au Cambodge par le gérant français de l’atelier, cette technique de tissage serait née en Birmanie, sur les plateaux du lac Inle. Elle était destinée à la confection de robes pour les moines de haut rang qui les revêtaient pour le carême bouddhique, une célébration ayant lieu chaque année lors de la pleine lune de juillet, coïncidant avec l’arrivée de la saison des pluies, et qui marque une retraite de trois mois. On raconte que ces robes avaient le pouvoir de calmer les esprits et d’aider à la méditation.
Au Cambodge, des représentations du lotus apparaissent déjà dans les bas-reliefs du temple d’Angkor – capitale de l’Empire khmer (IXe - XIVe siècle) qui s’étendait alors sur une partie de la Birmanie, de la Thaïlande, du Laos et du Vietnam –, en ornementation de danseuses célestes apsaras. Aujourd’hui, leur esthétisme est utilisé dans l’art de la décoration florale et ses savantes techniques de pliage. Tandis que l’industrie du luxe s’intéresse à ce tissu...
Antioxydant et aphrodisiaque !
Chaque partie du lotus est comestible et est appréciée à la fois pour ses qualités gustatives et médicinales. Les racines sont généralement consommées tranchées en salade ou dans des plats de viande frite, tandis que les fibreuses tiges sont incorporées aux soupes. Elles ne contiennent quasiment pas de graisse saturée et sont riches en vitamines B6 et C, cuivre et potassium. Les graines sont consommées gobées crues en friandise, grillées, ainsi que réduites en farine dans la confection de gâteaux de lune d’inspiration chinoise. Utilisées dans la médecine traditionnelle toujours pratiquée au Cambodge, les feuilles sont réputées pour leurs vertus antioxydantes, permettant de réduire le cholestérol et les tensions. Feuilles et fleurs sont consommées en infusion pour leurs propriétés amincissantes et, d’aucuns disent, aphrodisiaques.