Thé, café et chocolat au XVIII siècle : Les riches heures des boissons exotiques
Au tournant du XVIIe et du XVIIIe siècles, les boissons venues d’Amérique et d’Asie font une entrée remarquée à la Cour du roi. Retour sur l’histoire à succès du thé, du café et du chocolat.
En Europe et dans le monde, le petit- déjeuner est rarement servi sans thé, café ou chocolat. La consommation de ces boissons fait aujourd’hui partie de nos habitudes quotidiennes. Pourtant, à leurs débuts, elles étaient souvent offertes comme cadeaux dans le cadre des relations diplomatiques. Longtemps, elles ont bénéficié d’une image de produits rares et précieux.
Le chocolat, signe extérieur de richesse
À la suite des grandes découvertes, de nouveaux aliments et de nouvelles pratiques de consommation se font jour dans l’aristocratie européenne. Parmi ces nouveautés figure le chocolat chaud, arrivé d’Amérique et servi pour la première fois en France lors du mariage de Louis XIII et d’Anne d’Autriche, en 1615. C’est un peu plus tard, dans la seconde moitié du XVIIe siècle, que cette boisson connaît un véritable succès à la Cour de Versailles. Si le roi Louis XIV en est peu friand, la reine Marie-Thérèse d’Autriche en raffole. Pour la noblesse, le proposer à ses invités permet d’afficher sa richesse et son statut social élevé car le chocolat coûte cher. Comme aujourd’hui, il est servi au petit-déjeuner ou à l’heure du goûter. On le boit en solitaire ou en famille dans une vaisselle finement décorée et dédiée à la consommation des boissons exotiques.
Importé sous forme de pain, le chocolat est souvent additionné de sucre, de vanille, de cannelle, de clou de girofle, d’anis ou de poivre. Dilué dans de l’eau chaude, il peut être additionné de lait. On prend plaisir à le déguster pour son goût seul, mais on le dote aussi de vertus. Le chirurgien de la reine et médecin du roi, Nicolas de Blégny, le considère comme utile dans le traitement des maladies vénériennes. Dans ses fameuses lettres, la marquise de...
Sévigné ne tarit pas d’éloges à son égard : elle le conseille à sa fille et à ses amies contre l’insomnie ou les problèmes de digestion. Cependant, le chocolat est aussi décrié pour sa tendance à « échauffer ». Dans le but de le rendre plus agréable, la recette est peu à peu expurgée des épices. À partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, le chocolat est seulement composé de pâte de cacao et de sucre.
Café des nobles, puis du peuple
Le café aussi fait son entrée dans la vie des Français par la grande porte de Versailles, en 1669. Un émissaire de l’Empire ottoman fait servir cette nouvelle boisson en grande pompe aux gens de la Cour. Des esclaves en costume turc servent le café dans de fines tasses de porcelaine du Japon. L’engouement est immédiat. La boisson venue du Levant (et le cérémonial qui l’entoure) excite la curiosité de la noblesse et devient un atour de plus ajouté à leur panoplie luxueuse. Les grandes maisons possèdent leurs nécessaires, du moulin à café aux tasses et cafetières indispensables à la dégustation. Louis XV dispose même d’une pièce spéciale pour la préparation de son café. Ce dernier est bouilli, à la manière turque. Les convives doivent attendre que le marc se dépose au fond de la tasse avant de la porter à leurs lèvres.
On ouvre aussi des maisons de café, établissements de luxe fréquentés par les élites, où le liquide noir valorise celui qui le boit. Les philosophes tels que Voltaire, Rousseau et Diderot glorifient ce stimulant intellectuel. Selon Frédéric II de Prusse, « la consommation de 50 tasses par jour lui [Voltaire] suffisent à peine». Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, l’aura fastueuse du petit noir va cependant se ternir, car il devient accessible au peuple. Le travail des esclaves dans les plantations de caféiers de l’île Bourbon et de Saint-Domingue procure un café de qualité à bas coût. Les couches populaires se mettent à le consommer et à l’apprécier autant que la haute société.
Plus élitiste encore : le thé
Pourtant connu depuis 1300 grâce aux voyages de Marco Polo, le thé met plus de temps que le chocolat et le café à faire son entrée dans les mœurs aristocrates. Les Britanniques et les Hollandais règnent sans partage sur les productions venues des Indes, ce qui fait du thé un produit lourdement taxé, dont les Français se détournent d’abord pour s’adonner aux plaisirs des autres boissons nouvelles. Toutefois, le café devenu populaire, la noblesse le délaisse pour se tourner vers le thé, qui reste très élitiste. L’époque est à la mode « à l’anglaise ». Le thé fait ainsi partie de ces nouvelles habitudes venues d’Angleterre qui vont être adoptées en France. La préparation se fait comme aujourd’hui : de l’eau bouillante versée sur les feuilles de thé. Il est le plus souvent servi sucré, parfois additionné de lait. À la fin du XVIIe siècle, il est préparé dans une cafetière ou dans une chocolatière. Mais vers 1740, on introduit la théière, strictement dédiée à l’infusion. Ainsi, à l’époque prérévolutionnaire, les boissons exotiques touchent peu à peu toutes les couches de la société. Comme un présage des autres bouleversements à venir.
Le café, lieu de sociabilité urbaine
C’est en Autriche, à Vienne, que se perpétue sans doute le mieux la tradition des premiers cafés. Avec leur décor unique, les Kaffeehaus sont de véritables institutions très prisées des Viennois ainsi que des touristes. Dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, les cafés deviennent une composante de l’identité viennoise, confortant l’esprit cosmopolite de la ville et ritualisant déjà une forme de sociabilité urbaine. En 1787, dans un opuscule destiné aux voyageurs, Ignaz de Luca y répertorie 68 établissements. Si les modes de consommation rejoignent ceux des autres capitales européennes, la gastronomie locale le place dans la catégorie des « douceurs orientales ». Les Ottomans, qui ont assiégé la ville en 1685, ont laissé leur empreinte : à cette époque, on peut aussi boire du café blanc, qui consiste à lui ajouter de la tisane d’eau de fleur d’oranger typique du Levant.