Balade islandaise : Au pays des lichens
Très attentifs à la nature qu’ils étudient depuis des siècles, les Islandais ont appris à con er leurs maux aux bienfaits des mousses et des lichens. Qui le leur rendent bien : en Islande, les hommes détiennent le record mondial de longévité. Les Elfes de la « terre de glace » n’ont qu’à bien se tenir !
Île sauvage et rude, terre puissante et imprévisible, l’Islande sent bouillir sous sa peau les entrailles de la terre et vibre aux couleurs somptueuses des aurores boréales. Un peu magicienne, un peu mystérieuse, l’île soupire des volutes de soufre et des geysers d’eau bouillante dans des incantations rauques que seuls les érudits locaux savent traduire. Colonisée par les Vikings au IXe siècle, l’île aux éruptions volcaniques spectaculaires a perdu ses forêts et presque tous ses arbres au fil des âges, mais il lui reste des trésors végétaux : sa mousse, ou plutôt ses lichens.
À Reykjavik, la capitale, à quelques pas de la cathédrale, on ne peut manquer l’herboristerie Jurtaapótek dans laquelle œuvre Kolbrún Björnsdóttir. L’herboriste apporte un soin particulier à choisir les plantes, vérifier leur mode de séchage, de broyage et assure elle-même leur conditionnement. Elle aime parler des bienfaits de l’angélique officinale (Angelica archangelica), de l’achillée millefeuilles (Achillea millefolium, en islandais « vallhumall »), du bouleau (Betula pubescens, en islandais « birki »), mais ce qu’elle préfère, c’est la Cetraria islandica, communément appelée mousse d’Islande. C’est en fait un lichen qui doit son nom à l’appellation « moss » en islandais. Arrimée aux rochers de l’île, elle est capable de résister à des irruptions titanesques et autres fulgurances du ciel et de la terre. Cette terre, Kolbrún la connaît bien: elle en a arpenté les paysages rugueux et les roches à vif. Enfant déjà, elle a appris à mesurer la résistance des rares végétaux qui subsistent sur un sol raviné, quasi- ment dépourvu de terre. De ses conversations silencieuses avec des plantes minuscules et échevelées, elle a ancré ses convictions. Ce que ses ancêtres affirmaient déjà était donc vrai. Ces survivantes puisent en elles-mêmes la puissance qui assure leur endurance, leur longévité et leurs propriétés médicinales. En grandissant, elle a fait de ses convictions une spécialité. Voilà comment on devient l’herboriste la plus réputée d’Islande !
Terre de légendes
La relation particulière que l’Islande entretient avec sa nature aurait, selon l’herboriste, donné naissance aux croyances populaires et notamment aux personnages légendaires qui hantent le paysage et l’imaginaire de la population. Mythiques en Islande, les Elfes doivent la qualité de leur existence à la relation qu’ils...
entretiennent avec la nature. Dans son essai «Du conte de fées », Tolkien écrit : « Les Elfes représentent des Hommes qui seraient dotés de facultés esthétiques et créatrices très développées, d’une grande beauté et d’une vie éternelle.» Vivant en contact avec la nature, ils possèdent un savoir ancestral, notamment dans le domaine végétal... Selon Kolbrún, les Islandais prétendent que les Elfes, Nains et autres Gnomes vivent dans des agglomérats de pierres appelés « Mai- son des Elfes» et qu’on peut les y entendre jouer de la musique. « Le paysage islandais est l’univers idéal pour bercer ce genre de fantasmagories », ajoute-t-elle.
Kolbrún se dirige vers son laboratoire où sont méticuleusement rangées toutes sortes de oles de différentes tailles et couleurs, ainsi que des plantes séchées. Avec elle, nous évoquons les qualités du lichen, un groupe de plantes qui résultent de la symbiose permanente entre le champignon et l’algue. Si leurs usages étaient connus dès l’Antiquité, la lichénologie, science des lichens, est encore peu développée. Toutefois, la médecine a isolé dans ces végétaux des principes amers, antibiotiques et antiseptiques.
Multi-usages thérapeutiques
Notre herboriste évoque d’abord le Cladonia rangiferina, la mousse ou le lichen de caribou. Elle raconte que les ancêtres nordiques adoraient les manger partiellement prédigérés en les prélevant dans la panse des caribous morts. Les sucs gastriques de l’animal avaient réduit l’amertume des lichens malaxés dans sa panse avec des champignons, de la prêle, des graminées, des jeunes pousses de saule, de bouleau et de bleuet. Kolbrún assure qu’il s’agissait d’un mets de choix que la population adorait. L’Islande est riche en lichen des murs (Parmelia parietina) aux propriétés proches de celles de la quinine, en pulmonaire des chênes, dite crapaudine (Lobaria pulmonaria) qui soigne les maladies pulmonaires, ainsi qu’en diverses usnées (Usnea spp.) dont le lichen entrelacé (Usnea plicata). L’usnée est utilisée en médecine chinoise, en médecine homéopathique, en médecine traditionnelle, en médicament ou en complément nutritionnel, séchée en décoction ou en infusion. Certaines d’entre elles se révèlent antibiotiques, d’autres antioxydantes et d’autres encore antivirales, notamment contre la grippe.
La plus célèbre, la Cetraria islandica, ou mousse d’Islande, apparaît sous une forme rappelant l’algue aux couleurs parcheminées. Kolbrún précise que c’est un lichen qui se récolte sur le sol et les rochers de l’île, en Europe centrale et dans les Alpes. La récolte se fait de préférence par temps pluvieux ou humide, ce qui rend l’arrachage plus aisé. Le thalle (appareil végétatif ne possédant ni feuilles, ni tiges, ni racines) est débarrassé de la terre et des brindilles, puis lavé et séché au soleil. Il est ainsi prêt à l’emploi pour les infusions, décoctions ou autres préparations. La mousse d’Islande est amère. Sa forte teneur en mucilages en fait un traitement efficace contre toutes les affections respiratoires, bronchite et toux. Elle agit contre les nausées de la grossesse et celles du mal de mer. Tonique, elle lutte contre l’anémie et la fatigue et stimule le système nerveux central. Débarrassée de son amertume, elle est diurétique, émolliente, expectorante et fortifiante. Les Islandais adorent aussi la cuisiner ! Dans l’île, la mousse s’invite sur toutes les tables. Certains la préparent en soupe, d’autres en fourrent leurs gâteaux... Kolbrun, quant à elle, l’adore en gelée.
L’iode de nos montagnes
Le lichen d’Islande (Cetraria islandica) se rencontre également dans les régions froides françaises. Dans le livre « Cueillettes de mémoires »*, les auteurs ont répertorié ses usages en Bauges et en Chartreuse. Bouilli dans du lait, le lichen était utilisé contre les rhumes. On faisait également appel à lui pour apporter l’iode manquant dans ces régions éloignées de la mer. Il servait encore de base pour les soupes et les ragoûts.
* Éd. Jardins du Monde Montagnes, www.jdmmontagnes.org
Sur le front des antibiotiques ?
Les recherches sur les propriétés des lichens commencent après la Seconde Guerre mondiale avec, aux États-Unis, Burkholder et Evans, en Suisse, Stoll, au Japon, Shibata et en URSS, Savicz et Moisejeva.* Les Alectoria, Cetraria, Evernia et Usnea ont révélé des propriétés antibactériennes avec leurs principes actifs, soit l’acide vulpinique, l’acide protoliches- térinique et surtout l’acide usnique qui pourrait avoir des applications anticancer, par exemple.
* « Lichen d’Islande et lichen pulmonaire », thèse de Cécile Collombet. UFR pharmacie Grenoble.
La mousse en cuisine
Soupe de lichen
Pour deux personnes 10g de lichen islandais • 2 grands bols d’eau • 25 g de farine de froment • 15 g de beurre • 1 citron • 1 œuf • crème.
1. Dans l’eau, faire bouillir 10 g de lichen pendant 1 heure.
2. Préparer une sauce béchamel en faisant revenir la farine de froment dans du beurre et en y ajoutant du bouillon ou de l’eau.
3. Mélanger cette sauce et le lichen avec son eau de cuisson et laisser cuire le tout 1 heure, en prenant soin d’enlever l’écume le cas échéant.
4. Servir la soupe accompagnée d’un jus de citron et d’un jaune d’œuf mélangé à de la crème citronnée.
À savoir : Vous pouvez vous procurer le lichen dans certaines herboristeries ou sur le site www.france-nature.com/boutique