Quel herboriste pour demain ?
Le projet de reconnaissance des herboristes soulève de nombreuses interrogations, des doutes et même des craintes. D’autant que, depuis la suppression du diplôme en 1941, une organisation s’était bon an mal an mise en place. État des lieux.
[Mis à jour le 19/06/2018]
En juillet 2011, le sénateur Jean-Luc Fichet déposait une proposition de loi « visant à créer un diplôme et organiser la profession d’herboriste ». « Enfin ! » se réjouirent de nombreux spécialistes qui, à leur manière et sans titre officiel, connaissent, transmettent et pratiquent l’art de se soigner par les plantes depuis des années. « Je m’intéresse aux herboristes de 2012 », précise le politicien. En effet, son projet ne vise pas seulement à ce que la vente des plantes médicinales soit mieux encadrée et plus sécurisée pour le consommateur. Il s’inscrit dans une perspective économique et environnementale : Jean-Luc Fichet prétend aider à ce que la production se développe en France, et soit à la fois qualitative et respectueuse des ressources.
La pratique de l’herboristerie ne s’est pas arrêtée le 11 septembre 1941, date à laquelle le diplôme fut supprimé. Mais rappelons qu’au niveau légal, elle n’a droit de cité qu’au sein des officines. En d’autres termes, seuls les pharmaciens sont habilités à vendre toutes les plantes de la pharmacopée, et surtout, à prodiguer des conseils. Mais la réglementation a ceci d’ubuesque que ceux qui font le choix de ne vendre que des plantes, et aucun médicament de synthèse, n’ont pas le droit de s’inscrire à l’ordre des pharmaciens et se retrouvent donc dans l’illégalité. C’est le cas de Jean-Pierre Raveneau qui tient l’Herboristerie de la place Clichy, à Paris. Il y vend des centaines d’espèces de plantes médicinales, et s’est habitué à la répression : « En mars dernier, les douanes ont saisi 900 produits, confie ce docteur en pharmacie qui ironise, c’est comme si nous vendions de la drogue. »
148 plantes en vente libre
Parallèlement, de nombreux magasins bio, diététiques ou de bien-être proposent des plantes médicinales, même s’ils n’ont pas le droit de conseiller leurs clients. Depuis 2008, un décret a dressé une liste de 148 espèces qui peuvent être vendues par tout commerce à condition de ne pas comporter d’indications thérapeutiques. Nous le savons bien, certaines des personnes qui tiennent ces enseignes possèdent un grand savoir, par expérience ou bien pour avoir suivi des formations pointues. Ce que souligne d’ailleurs le sénateur dans sa proposition de loi : « De nombreux organismes, comme l’École des plantes, l’Association pour le renouveau de l’herboristerie à Paris, ou l’École lyonnaise des plantes médicinales, entre autres, dispensent des enseignements d’excellent niveau mais sans reconnaissance de l’Université. » À Lyon, la formation de trois ans conduit à un « certificat d’herbaliste », faute de pouvoir délivrer un diplôme d’herboriste !
Ce n’est pas tout ! Car l’e-commerce est loin d’être absent de ce marché florissant. Et tout le monde en convient : l’offre se développe de manière anarchique sur l’internet, avec des abus au niveau de la qualité et des prix. Dans ce contexte, la proposition de loi vise également à un meilleur contrôle de la filière : les futurs professionnels auraient pour rôle de labelliser les plantes médicinales. « On aurait plus de garanties sur le mode de culture et la provenance », convient Audrey Baransky, naturopathe à Paris.
Les enjeux sont donc complexes. Par conséquent, le texte de loi du sénateur suscite un large débat. Du côté des pharmaciens, la position a le mérite d’être claire : leurs représentants ne cessent d’affirmer qu’ils sont opposés à ce que l’herboristerie soit légalisée en dehors de leurs officines. « Aujourd’hui, les pharmaciens sont compétents et mettent de plus en plus en avant les plantes, même si ce n’est pas en vrac », estime Christophe Koperski, pharmacien dans l’Oise et membre de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (SFPF). « Ce n’est pas un sujet primordial aujourd’hui », lâche brutalement Jean-Luc Audhoui, pharmacien et président de la commission communication à la SFPF. Or les 22 000 officines de l’Hexagone ne sont pas autant d’herboristeries, loin de là ! Jean-Luc Fichet confie : « Les pharmaciens que j’ai auditionnés reconnaissent que l’enseignement de l’herboristerie est proche de zéro dans leur formation et qu’ils doivent se tourner vers des écoles de plantes. »
Mais ceux qui souhaitent depuis longtemps la reconnaissance de ce métier ne sont pas tous satisfaits par le texte du sénateur. Il y a deux raisons principales à cela. Tout d’abord, la proposition de loi donne à l’AFSSAPS le rôle d’organisme de contrôle des herboristes. Il va sans dire que cette agence de sécurité des médicaments n’a pas bonne presse auprès des défenseurs de la santé naturelle. Pour Patrice de Bonneval, pharmacien herboriste à Lyon et enseignant en phytothérapie, le champ d’expertise de l’AFSSAPS est trop éloigné de l’herboristerie : « La plante n’est pas un médicament, mais un moyen de rester en bonne santé », indique-t-il.
Nouveau monopole
Le second point de désaccord tient au fait que, d’après la proposition de loi, seuls les herboristes pourront vendre les 148 plantes médicinales actuellement en vente libre. « Je vois en cela un retour en arrière qui donne l’exclusivité aux seuls herboristes », déclare Thierry Folliard, naturopathe travaillant dans une grande herboristerie à Paris. Thierry Thévenin, secrétaire général du Syndicat des simples, pressent même une source de conflits entre les nouveaux herboristes et les producteurs de plantes médicinales, qui pourront heureusement toujours continuer à vendre leur production. De nombreuses voix s’élèvent aussi pour que l’herboriste puisse vendre toutes les plantes de la pharmacopée, à l’instar des pharmaciens. Faute de quoi, Patrice de Bonneval estime que l’on aboutirait à des herboristeries « sous-développées ».
Jean-Luc Fichet défend sa position en affirmant que le monopole accordé aux herboristes constitue un bon moyen de développer le métier. Et il tempère : « Sur les 148 plantes, certaines pourront retourner dans le marché libre par décret. Après le vote de la loi, la liste pourra aussi être enrichie d’autres plantes de la pharmacopée, toujours par décret. » Actuellement, le sénateur continue d’écouter les doléances des uns et des autres. Un collectif constitué par Thierry Thévenin lui a même adressé une contre-proposition. Espérons que les politiques prennent le temps de peaufiner un projet que la filière attend, mais pas à n’importe quel prix.
Des herbalistes
Depuis une dizaine d’années, l’École lyonnaise des plantes médicinales délivre un certificat d’« herbaliste » – nom déposé il y a une dizaine d’années – aux personnes qui y suivent une formation de trois ans. Si au départ, cette dénomination avait été choisie faute de ne pouvoir utiliser celle d’herboriste, force est de constater qu’aujourd’hui ces diplômés jouent un rôle important dans la filière. On les retrouve comme conseiller dans des boutiques spécialisées, comme animateur d’ateliers, de sorties botaniques, autant de canaux permettant de répondre à la demande d’informations des consommateurs. Pour Patrice de Bonneval, fondateur de cet enseignement, la transmission du savoir sur les plantes est clairement plus importante que le retour des herboristeries en France : « Soixante-dix ans après la disparition du diplôme, l’urgence n’est pas telle que nous devions accepter sans réserve un texte dont nous devrons gérer les inconvénients qui pourraient être pires que la situation actuelle », peut-on lire sur le site web de l’école.
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En 2014, Plantes&santé a lancé la pétition "Recréez le métier d'herboriste". Nous avons alors récolté 80605 signatures.