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Emmanuel Giboulot « Il y a une omerta sur l’impact des pesticides »

Emmanuel Giboulot « Il y a une omerta sur l’impact des pesticides »

Ce viticulteur bio de 51 ans a été poursuivi par la justice pour avoir refusé de traiter ses vignes avec des pesticides, encourant six mois d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Il revient avec nous ici sur les raisons qui ont motivé sa démarche.  

 [Mis à jour le 09/07/2018]

Pouvez vous nous expliquer les faits qui vous valent d’être convoqué au tribunal de Dijon ce 24 février 2014? 

En 2011, dans le département voisin de Saône et Loire, on a trouvé un foyer important de Flavescence dorée, une maladie contagieuse et mortelle pour les vignes transmise par un petit insecte, la cicadelle. L’année suivante en 2012, un arrêté préfectoral y décrète l’obligation de trois traitements par pesticide sur les communes touchées et leurs voisines, mais pas dans mon département de Côte d’Or où il n’y a pas de foyer avéré. En 2013 en revanche, mais toujours sans foyer avéré, la préfecture nous impose un traitement dans le but de restreindre la population de cicadelle, ce qui n’entre pas dans le cadre de l’arrêté ministériel pour encadrer la lutte contre la maladie. J’ai donc refusé de traiter mes vignes, ce qui est constaté par la DRAAF (Direction Régionale de l’Alimentation, de l’Agriculture et de la Forêt) lors d’une visite sur mon domaine en juillet. C’est pour avoir refusé de me soumettre à cette obligation que je suis convoqué (après plusieurs reports) au tribunal et encours une peine de six mois d'emprisonnement.   

 

En quoi la décision préfectorale de traiter vous paraît-elle infondée ?  

D’abord parce qu’il n’y avait pas de problèmes répertoriés sur le département. Dans sa prospection du mois de septembre, le SRAL (Service Régional de l’Alimentation, sous l’autorité de la DRAAF, dépendant elle même de la Préfecture) a effectué 45 prélèvements sur les deux départements (dont 11 en côte d’Or, et 12 sur des exploitations bio) et ont trouvé des traces sur 3 échantillons. C’est de toute façon la 1ère fois qu’ils faisaient une prospection de cette ampleur : qui dit qu’il n’y en avait pas un nombre équivalent les années précédentes ? Par ailleurs, ils ont traité 3 fois de manière systématique en Saône-et-Loire, sans résultat probant puisque ça revient l’année suivante. Un collègue vigneron dans le Sauternes m’a lui aussi confié qu’ils avaient dû traiter quatre fois pour la cicadelle sur injonction de la préfecture, sans pouvoir s’en débarrasser pour autant. On parvient à réduire la présence de la cicadelle mais pas une région n’a réussi à s’en débarrasser quand elle est en place, car elle se déplace sur d’autres supports végétaux quand la vigne est traitée. L’échec à long terme de ce type d’approches est confirmé par l’institut agronomique de Changin en Suisse ou d’autres. Face à cette situation, quelle réponse ? Traiter plus de la même manière ? Ce que je conteste c’est cette fuite en avant et des services de l’Etat qui refusent de voir la réalité en face. Il y a clairement un problème de méthode. 

 

S’ajoute pour vous le problème que vous cultivez en biodynamie... 

Oui dans la mesure où on aborde l’équilibre végétal dans son ensemble. En bio, le pesticide que nous utilisons est le Pyrevert. Son utilisation ne remet pas en cause l’agrément bio mais il n’est pas sélectif, détruit la faune auxiliaire et est quand même dans une certaine mesure neurotoxique. Le maitre mot pour nous c’est le travail sur les sols. On est pas dans une approche une maladie égal un remède. J’ai hérité de cette exploitation familiale déjà en bio dans les années 70, en sommes en biodynamie  depuis 1996. Si j'ai fait ce choix, c'est d'une part pour des raisons environnementales, parce que comme on dit souvent on emprunte la terre à nos enfants, et que je veux leur transmettre une terre en bon état. Et d'autre part pour des raisons sanitaires. De plus en plus de preuves pour montrer les effets des résidus de pesticides sur la santé des travailleurs agricoles et des consommateurs s'accumulent et des associations comme  Générations futures se mobilisent. Je connais d'ailleurs des gens décédés de cancer qui appliquaient des produits phytosanitaires ; mais je ne me suis pas posé la question pour ma propre santé, d'autant que je cultive en bio. La réalité c'est que tout le monde gagne à ce qu’on réduise les traitements, les producteurs comme les consommateurs.


Comment faire différemment ?  

Il faut travailler sur les équilibres globaux, sur la biodiversité dans les vignobles. Aujourd’hui il n’y a plus un arbre, plus une haie et les sols sont dégradés par l’agriculture intensive. Les plantes sont littéralement sous goutte à goutte. Il faudrait par exemple pouvoir laisser pousser l’herbe dans les contours des vignes, mais là aussi on est dans des systèmes de contraintes très fortes liées à la standardisation, parfois auto-imposées. Si l’herbe est trop haute aux pieds des vignes et dépasse de quelques centimètres ce qui vous est imposé par votre cahier des charges par exemple, votre AOC peut-être remise en cause par un organisme de contrôle comme ICONE. Ça va dans le sens d’une standardisation des pratiques, mais aussi des goûts du vin. Dans le domaine de la viticulture, ça me paraît incohérent de vouloir valoriser et exprimer des terroirs dans le vin d’un côté, et de les abîmer et désherber systématiquement de l’autre. Travailler avec un terroir c’est aussi permettre aux différences de s’exprimer. 

 

Sur le problème spécifique de la flavescence dorée, quelle approche privilégier ? 

Il y a dix ans dans une situation comparable, des viticulteurs du Vaucluse avaient par exemple fait de la prospection, de l’arrachage de pieds de vigne, de la recherche de produits alternatifs. On pourrait mettre en place des plateformes d’observation et de collecte des données pour comprendre les paramètres qui influencent la progression du pathogène : qualité des sols, état des vignes, les types de pieds touchés, quand, où etc. En bref on pourrait nourrir des statistiques, constituer un savoir collectif et réfléchir à pourquoi exactement la maladie apparaît, et faire de la prévention. A ce genre de propositions, les autorités répondent : ce n’est pas notre rôle et nous n’avons pas le budget pour ça. Leur façon de gérer la maladie date de 30 ans. Dans les années 1990-2000, avec un groupe dont j’étais le responsable on avait essayé d’adapter des techniques mises au point par l’ACTA (qui renforce les collaborations entre les Instituts Techniques Agricoles, les organismes de recherche, les organismes professionnels agricoles et les pouvoirs publics) à la viticulture pour réduire les doses de pesticides en travaillant sur la taille des gouttes. Déjà à l'époque je me heurtais à la mauvaise volonté des techniciens des coopératives locales qui refusaient que les viticulteurs se prennent en charge et développent une expertise propre. 

 

Vous risquez gros : qu’est ce qui vous a amené à effectuer cette démarche ?

J’ai mis du temps à me décider à ne pas traiter. Je n’ai pas pris cette décision à la légère. J’ai beaucoup discuté avec d’autres collègues, qui travaillent en bio et en conventionnel. Il y a également eu une réunion en mai dernier réunissant des associations (Générations Futures, Groupe d’étude et de suivi des terroirs, Artisans vignerons du maçonnais), des chercheurs, des techniciens et les différents acteurs du secteur (services régionaux, chambre d’agriculture, structures bios). Certains d’entre nous ont voulu porter une voix différente mais rien n’a été entendu par les autorités. Il y a à l’évidence un abandon de la souveraineté chez soi qui désole les gens et génère beaucoup de frustrations. On a à faire à des comportements des autorités (DRAAF, syndicat des viticulteurs etc.) qui nient les capacités des vignerons à être des acteurs conscients et responsables de leurs actes et on assiste à des abus de pouvoir. Si l’épandage systématique n’est pas autorisé par l’arrêté ministériel, le prétexte de risque de pandémie laisse une grande latitude aux préfets pour prendre ce genre de décisions et multiplier les dérogations sous l'impulsion de la DRAAF ou du FREDON (Fédération Régionale de Défense contre les Organismes Nuisibles). Et il y a surtout une volonté affichée de réprimer ceux qui souhaitent se positionner différemment. 

 

Dans ce contexte répressif, vous sentez vous isolé ou soutenu ? 

Depuis la médiatisation de l'affaire, j'ai reçu beaucoup de soutiens, ce qui montre que ce sujet est une préoccupation qui touche à la fois le grand public et les acteurs du secteur. Mais le sujet divise encore énormément. J’ai notamment eu beaucoup de témoignages de viticulteurs, pas seulement en bio mais aussi en conventionnel, qui m’ont dit ne pas avoir traité non plus (qui ont par exemple acheté le produit mais ne l’ont pas épandu, ou ont modifié les étiquettes). A l’inverse, d’autres ont traité, notamment en bio, tout en disant pour un certain nombre d’entre eux qu'ils ne savaient pas comment se positionner, notamment de peur de se faire contrôler. Mais comment aborder ces choses sereinement quand un sentiment de peur guide les décisions ?  Un climat de psychose s’est emparé du milieu viticole. C'est pour faire entendre une autre voix et être un interlocuteur des différentes structures institutionnelles que nous avons crée en décembre le « Collectif vigneron contre la flavescence dorée : comprendre pour agir ».

 

Comment expliquer que malgré des positions de principes (plan Ecophyto, loi d’avenir agricole) qui disent vouloir limiter progressivement l’utilisation des pesticides, la situation demeure bloquée en France ? 

Au niveau de l’encadrement technique, il n'y a aucun encouragement à moins traiter. Dans les réunions comme dans les bulletins professionnels, on ne trouve aucun positionnement sur le sujet. Il y a une omerta sur l’impact des pesticides. Ce que je trouve le plus décevant de tout, c’est que les avancées qu’on avait semblé s'amorcer depuis vingt ans trouvent un coup d’arrêt aujourd’hui. Depuis les premières plate-formes sur l’agriculture raisonnée en 1995, j’avais le sentiment d’une prise de conscience progressive et collective sur les limites de l’utilisation des produits chimiques. Par exemple sur l’araignée rouge, on avait entamé une démarche où on évaluait la population des prédateurs, où on adaptait la quantité de produits pour traiter etc. Chaque viticulteur par ses pratiques peut modifier les équilibres naturels, et les notions de respect des équilibres et d’analyse des situations au cas par cas semblaient gagner du terrain. C’était une vraie avancée du côté des viticulteurs. Le traitement systématique va complètement à l’opposé de cette démarche. C’est un constat d’échec par rapport à ces avancées depuis quinze vingt ans. 

 

Il y donc clairement un décalage entre les discours officiels et les pratiques ? 

Il ne s’agit pas de stigmatiser les utilisateurs des produits. Il y a clairement une pression économique aussi : on a eu des années difficiles avec une météo chaotique, compliquées à gérer, ce qui ne va pas dans le sens de la réduction. S’ajoute à cela l’absence d’encouragement de l’État effectivement. Malgré une conscience accrue des dangers, il y a un déni collectif de la responsabilité et de l’engagement individuel des viticulteurs car ce sont des produits agrées par le ministère de l’agriculture. Par ailleurs un arrêté qui vous contraint à utiliser des pesticides, ça minimise votre sentiment de responsabilité individuelle. Alors que quand on fait le choix de ne pas traiter, c’est un choix conscient. Il n’y a pas ici de grand complot, mais plutôt des systèmes d’influence, des habitudes et des idées reçues. Dans ce contexte, il faut rester ouvert, ne pas stigmatiser.

 

Vous en appelez à la responsabilité individuelle ?

Effectivement, ça me paraît essentiel. Je n’ai jamais dit qu’il ne fallait jamais utiliser de traitement, juste pas dans ma situation. Les vignerons sont tout à fait conscients de la dangerosité des maladies, et de leurs effets parfois dévastateurs ; et pour cause, ça fait plus de 12 ans que certains d’entre nous font face à cette maladie et nous en sommes d'ailleurs les premières victimes. Mais il ne s’agit pas là d’une maladie récente inconnue et soudaine, comme avec l’arrivée du Phylloxéra au tournant du siècle. Là, on la connaît depuis un moment mais on ne met pas en place d’outils pour comprendre comment elle se développe et comment la gérer de manière appropriée. Nous revendiquons le droit à une approche alternative, de pouvoir essayer des méthodes de prévention, des produits à base de plantes, d’huiles essentielles ou autres. Au moins, nous voulons pouvoir faire des essais sans subir les foudres des autorités. 

 

Au fond, quel est l'enjeu de ce procès pour vous ? 

Je souhaite expliquer pourquoi j’ai fait ça, pourquoi on est nombreux à se poser ces questions légitimes et pourquoi la réponse des pouvoirs publics nous paraît insatisfaisante. Par rapport à cet état d'esprit ambiant, je me considère comme un lanceur d’alerte. Je ne trouve pas normal que des décisions aussi importantes soient prises sans impliquer les viticulteurs dans la réflexion, dans un climat de peur ou de terreur. Qui paiera les pots cassés de cette politique ? Qui indemnisera les personnes malades dans 50 ans ? Moi je veux demeurer responsable de mes actes. 

 

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