COP21 : Rencontres autour du vivant (9)
Sandrine Feydel est coréalisatrice du film « Nature, le nouvel eldorado de la finance » et coauteur du livre éponyme aux éditions La Découverte. Selon elle, cette valorisation marchande de la biodiversité a de nombreux effets pervers.
Plantes & Santé Pour lutter contre le changement climatique, nos gouvernants ont choisi de créer un marché du carbone. Quels sont les effets de ce système ?
Sandrine Feydel Après le protocole de Kyoto, plusieurs marchés du carbone ont été mis en place dans le monde. Celui de l’Union européenne est basé sur un système d’échanges de quotas. Si une entreprise émet moins de carbone que ce qui lui est alloué, elle peut revendre ses quotas à une autre entreprise qui a émis trop de carbone. Ce système ne fonctionne pas. Au niveau mondial, les émissions de gaz à effet de serre ont augmenté et si elles ont baissé en Europe, c’est grâce à la crise et à la baisse de la consommation. S’en remettre au marché, c’est se déposséder de mesures politiques et réglementaires contraignantes et fortes.
P & S Financer des plantations d’arbres pour compenser nos émissions de gaz à effet de serre, est-ce une bonne idée ?
S. F. Non, car cela peut donner le sentiment que l’on peut déforester puisque l’on va recréer de la forêt. Mais une plantation de palmiers à huile ou d’eucalyptus ne peut pas remplacer une forêt primaire ! Ces monocultures nécessitent beaucoup d’intrants et appauvrissent les sols. Certes, l’eucalyptus est un arbre extrêmement rentable qui pousse très vite et avec lequel on fait de la pâte à papier et des biocarburants. Mais il va être coupé au bout de dix ou douze ans, et relâcher le carbone qu’il avait stocké. Ce n’est pas une solution de long terme pour faire face au changement climatique !
P & S Aujourd’hui, des institutions financières achètent des espaces naturels riches en biodiversité pour les échanger sur des marchés. Que peut-on craindre pour l’avenir ?
S. F. Sur le même principe que la compensation carbone, on a créé la compensation biodiversité. Par exemple, s’il est interdit de construire à un endroit à cause de la présence d’espèces protégées, il devient possible de le faire à condition de s’engager à protéger les mêmes espèces ailleurs. Cela consiste à acheter des titres à une « biobanque » qui a investi dans la protection de quelques hectares où vivent ces espèces. L’effet pervers, c’est que les espèces n’acquièrent de la valeur que si elles sont en train de disparaître. Ainsi, certaines personnes développent des produits financiers qui pourront permettre de spéculer sur la disparition d’espèces vivantes. Mais heureusement, on n’en est qu’au début de ce processus de financiarisation de la nature et l’on peut encore agir.