Dossier
Fructose et cie la chasse aux sucres (2/3)
Les dégâts du fructose
Mais pendant des milliers d’années, celui-ci était rare dans notre alimentation, et notre corps a développé des stratégiesbien rodées de stockage,de synthèse et de distribution du glucose pour éviter la panne sèche. Il est ainsi stocké sous forme de glycogène dans notre foie et nos muscles, avant d’être retransformé en glucose quand le besoin s’en fait ressentir. Si ces réserves viennent à s’épuiser, par exemple pendant un jeûne, le foie utilise des protéines et des graisses qu’il transforme en glucose pour répondre à nos besoins. Le pancréas et les hormones qu’il sécrète, l’insuline et le glucacon, jouent dans ce processus le rôle de chefs d’orchestre, faisant pénétrer selon les besoins le sucre sanguin dans nos cellules. Or plus nous mangeons sucré, plus notre foie doit produire de l’insuline pour conduire le glucose au cœur des cellules. Surexposées à l’insuline, ces dernières y sont moins réactives, amenant le foie à en générer plus pour compenser... C’est le fameux cercle vicieux de l’insulino-résistance qui finit par devenir un diabète de type 2 et nécessite des injections d’insuline pour que notre métabolisme fonctionne correctement. En cas d’insulino-résistance, au lieu d’être utilisées par nos cellules, les molécules de glucose vont rester en circulation dans le sang, provoquant de nombreux problèmes de santé en chaîne, couramment associées au diabète : problèmes cardiovasculaires et hormonaux, vieillissement accéléré, cécité... Ce stress métabolique produirait également une résistance à l’insuline au niveau des cellules cérébrales et serait même une cause déterminante de la maladie d’Alzheimer, désormais assimilée par beaucoup de chercheurs à un diabète de type 3 !
Mais que signifie, en réalité, manger trop de sucre ? Son omniprésence nécessite que l’on agisse à plusieurs niveaux. Le premier aspect à prendre en compte est de le limiter et de faire le tri dans les sucres ajoutés à notre alimentation. Si vous êtes un incurable sucrovore, sachez que tous les sucres ne se valent pas d’un point de vue santé, car ils sont métabolisés par le corps de manière différente jusqu’à devenir, à haute dose, des poisons. L’exemple le plus frappant est celui du fructose. La provenance de ce sucre simple qu’on trouve dans les fruits et le miel était censée lui donner un triple avantage : le...
premier, son très haut pouvoir sucrant, qui s’explique par le fait que, dans la nature, les fruits en décomposition doivent pouvoir attirer insectes et rongeurs pour la dissémination de leurs graines; le second, son faible impact glycémique (présence dans le sang), qui le rendait attractif pour de nombreuses personnes en situation de diabète ou pré-diabète ; enfin son coût faible, lié à l’écoulement des surproductions agricoles, qui en a vite fait un incontournable pour l’industrie agro-alimentaire.
Mais la science nutritionnelle a depuis peu de temps montré les inconvénients du fructose quand on l’isole des fruits dans lesquels il est présent en petite quantité et accompagné de fibres. Le sirop de glucose-fructose est par exemple un produit industriel obtenu par fermentation microbienne du sirop de maïs pour faire monter sa teneur en fructose. Il domine aujourd’hui le marché américain et s’installe peu à peu en Europe, remplaçant progressivement le sucre dit normal (ou saccharose) dans beaucoup d’aliments et boissons sucrés. Avec des effets dévastateurs.
Car contrairement à ce que l’on a pensé, les deux sucres ne sont pas métabolisés de la même façon: le glucose est disponible pour la cellule ou le cerveau, alors que le fructose métabolisé par le foie est en grande partie converti en graisse. Consommé en quantité, il entraîne donc une hausse des triglycérides, des stéatoses hépatiques, du stress oxydant et de l’hypertension. Si ces réserves de graisse issues des fruits s’avèrent utiles pour les animaux frugivores durant l’hiver, ou étaient des stratégies de survie pertinentes pour nos ancêtres chasseurs-cueilleurs pendant les disettes, elles sont pour nous avant tout synonymes de désordres métaboliques à ce niveau de consommation. Autre désavantage, le fructose ne provoque pas le même effet de satiété sur le cerveau, nous incitant à manger plus et nourrissant notre addiction sucrée, entraînant à terme prise de poids mais également résistance à l’insuline, malgré son faible index glycémique... Croyant bien faire, nous avons donc créé un produit délétère pour la santé.
La jungle des édulcorants
On fait subir à différents glucides présents dans le pruneau, les algues ou l’écorce de bouleau des traitements chimiques pour obtenir des édulcorants. Sorbitol, mannitol et xylitol sont utilisés dans des produits comme les sodas ou les chewing-gums car ils n’ont pas d’effet sur la glycémie (ils franchissent en faible quantité la barrière intestinale) et ne sont pas cariogènes. En revanche, en quantité importante, l’intestin les supporte mal (ballonnements ou diarrhées). Le tagatose (marque Tagatesse), un dérivé du lactose, semble toutefois une alternative prometteuse, notamment pour les diabétiques
Sirop d’agave, théorie et pratique
On peut lire ici et là des allégations de santé positives sur le sirop d’agave, pompeusement appelé nectar d’agave. Cette plante issue du continent américain présente, il est vrai, des molécules intéressantes pour le métabolisme et la glycémie, les agavines (une sorte de fructanes à chaîne longue). Mais le processus de transformation de la sève de la plante en sirop d’agave (par chauffage et/ou exposition à des enzymes) leur fait en réalité perdre leur intérêt nutritionnel, en réduisant ces fructanes en molécules de fructose à chaîne courte. Le sirop d’agave devient alors, nutritionnellement parlant, comparable à d’autres sirops de fructose.
Stévia: des Indiens Guarani au Pepsi
La Stevia rebaudiana est utilisée depuis près de 2 000 ans par les populations autochtones des régions tropicales d’Amérique du Sud, à l’instar des Indiens Guarani, pour sucrer leurs matés. Avec son léger goût de réglisse, la stévia contient une substance au pouvoir sucrant 300 fois supérieur au sucre de table, non calorique et sans impact sur la glycémie. Elle est remarquée dès le XIXe siècle par un botaniste suisse installé au Paraguay, mais les Occidentaux commencent à prendre conscience de son potentiel dans les années 1930, quand on parvient à isoler sa substance active, le rébaudioside A. Sur ce, la découverte de plusieurs édulcorants de synthèse comme l’aspartame la fait tomber dans l’oubli. Tout au moins en France. Il faudra attendre 2009 pour que l’extrait de stévia soit autorisé dans notre pays en tant qu’additif alimentaire, sous forme de liquide ou de poudre. Mais une fois de plus, ce sont moins les préoccupations sanitaires qui semblent à l’origine de cette autorisation que l’appétit d’industriels comme Coca-Cola ou Pepsi, intéressés par cette nouvelle substance miracle capable de remplacer l’aspartame. Certes, on peut se réjouir de l’existence de cette nouvelle molécule naturelle à laquelle on n’a pour le moment rien à reprocher. Mais on lui préférera la feuille entière réduite en poudre.
Le miel: ne gâchez pas le plaisir!
Utilisé comme aliment et condiment dès les Sumériens et l’Égypte ancienne, puis en Grèce antique pour soigner les blessures, le miel est décrit dans le Coran comme un médicament. Il est vrai que sa richesse en acides aminés, bons acides gras, sels minéraux et flavonoïdes en fait un outil thérapeutique intéressant, aussi bien pour les brûlures et la cicatrisation que comme antibactérien. Mais son index glycémique et son taux de glucides (30 % de glucose et 40 % de fructose environ) font qu’il convient d’utiliser ce produit de la ruche avec modération, à la manière d’un grand cru qu’on déguste. Notez également que le miel est aussi cariogène que le sucre blanc et encourage en outre une légère érosion de l’émail dentaire. Aussi rincez-vous bien la bouche après dégustation !